L'État français lance ses bulldozers contre les migrant·e·s

La demande faite par la préfecture d’évacuer la «jungle» de Calais, gigantesque bidonville où se regroupent près de 3500 migrant·e·s (dont 440 mineur·e·s) en attente de pouvoir traverser vers la Grande-Bretagne, a été validée. Le 25 février, le tribunal administratif a rejeté le recours suspensif de l’évacuation, déposé par des migrant·e·s et des associations. Lundi 29 février, les premiers bulldozers ont commencé la destruction des abris de fortune.

La jungle de Calais, c’est l’équivalent de 40 terrains de football envahis de petites structures en bois recouvertes de simples couvertures et d’une bâche en plastique. Le tout planté dans un immense terrain de boue, derrière les dunes et la rocade routière, sans eau potable ou courante, sans sanitaires, sans électricité. Le 29 février, l’Etat passe en force et commence à démolir les habitats de la zone sud, à grand renfort de CRS et de policiers, empêchant les bénévoles d’approcher. Hébété·e·s, les migrant·e·s (qui ont parfois encore leurs affaires à l’intérieur) voient leur maigre protection contre le froid et la pluie s’effondrer

 

 

Une opération loin d’être humanitaire

Bernard Cazeneuve, ministre français de l’Intérieur, a osé prétendre que cette évacuation était une «opération humanitaire où nous proposons une solution à tous». Loin s’en faut. Selon les autorités, il s’agirait de reloger entre 800 et 1000 migrant.e.s seulement, alors que les associations présentes ont recensé près de 3500 habitant·e·s, un nombre accrédité par la consommation d’eau et les tonnes de déchets enlevés quotidiennement. Qu’adviendra-t-il des personnes restantes? La question est ouverte…

Mais la guerre des chiffres ne s’arrête pas là. En guise de solution de relogement, l’Etat propose des conteneurs installés à proximité de la jungle… où 300 places sur 1500 restent disponibles. Par ailleurs, ces conteneurs en préfabriqué n’offrent pas plus de commodités que la jungle, pas d’électricité, pas d’eau, pas de sanitaire et sont encerclés par des grillages barbelés. Plus problématique encore, pour y entrer il faut montrer patte blanche et donner ses empreintes, ce qui signifie entrer dans le système Dublin en déposant une demande d’asile en France. Si les migrant·e·s s’y refusent, c’est parce que leur objectif est d’atteindre l’Angleterre, où un certain nombre d’entre eux·elles ont déjà de la famille.

Bien sûr, la vie dans la jungle est insalubre et indigne, mais force est de constater que ce lieu s’est développé ainsi du fait de l’impuissance des pouvoirs publics à apporter des réponses à la hauteur de la gravité de la situation. Or, avec la décision d’évacuer, l’Etat Français cherche purement et simplement à se débarrasser des réfugié·e·s, à les disperser, en supprimant leur lieu de survie précaire.

 

 

L’état d’urgence contre les migrant·e·s

La répression par l’Etat français contre les réfugié·e·s se cristallise ainsi à Calais, sous l’empire du sacro-saint état d’urgence. A plusieurs reprises, dont la dernière remonte au 1e février, des bulldozers sont entrés en action. Le harcèlement policier est permanent, les provocations et les violences de milices mettent également le bidonville sous pression constante. En janvier, une vaste manifestation de soutien avait été interdite, mais a malgré tout pu avoir lieu.

Dans son rapport annuel paru le 24 février, Amnesty International s’insurge contre la politique liberticide de la France face à la migration, légitimée par cet état d’urgence. Sous le fallacieux prétexte de «menace terroriste», le gouvernement français se permet de réprimer des militant·e·s et de lancer nombre de mesures violant les droits humains.

 

 

La faute aux politiques migratoires européennes

Mais l’incapacité à réagir dignement ne qualifie pas le seul Etat français. Partout en Europe, Suisse comprise, la mauvaise gestion de la question des réfugié·e·s se fait sentir, au travers d’un climat de plus en plus xénophobe, de replis nationaliste et sécuritaire. La Belgique a par exemple proclamé ce 24 février le rétablissement temporaire des contrôles à sa frontière avec la France. S’apprêtant ainsi à empêcher l’arrivée des rescapé·e·s de la jungle de Calais, elle n’hésite pas à bafouer les accords Schengen.

A l’inverse, les accords Dublin, eux, ne sont pas remis en question et ce bien que leur application ait des conséquences dramatiques tant pour les migrant·e·s que pour les pays du Sud de l’Europe. Et si l’UE a pris le temps, à l’occasion du conseil européen des 18 et 19 février, de discuter de la menace de sortie de l’Europe du Royaume-Uni («Brexit»), le sujet de l’accueil des demandeurs et demandeuses d’asile a été effleuré avant d’être repoussé. L’inaptitude de l’Europe à résoudre tant humanitairement que politiquement la crise des réfugié·e·s, les morts en Méditerranée, le développement de camps de concentration sur le territoire européen, ainsi que la montée du racisme est de plus en plus évidente. Plus que jamais, nous devons être au côté des migrant·e·s en lutte, à Calais ou ailleurs.

Samedi 19 mars, journée internationale de lutte contre le racisme et pour le droit d’asile, des manifestations se tiendront dans toute l’Europe, à Zurich, Genève et Lausanne notamment. Mobilisons-nous pour dénoncer la destruction sans état d’âme de lieux de survie des migrant·e·s, sans proposition de secours aucune. Pour réclamer l’ouverture des frontières, pour réaffirmer la légitimité du droit à circuler et s’établir. Pour dire non aux guerres impérialistes qui contraignent des centaines de milliers d’êtres humains à fuir leur pays. Pour dire que décidément, on n’en veut pas de cette société-là!

Aude Martenot