Bitch and Animal: jouissif et détonnant

Bitch and Animal: jouissif et détonnant

Avec son troisième album Sour Juice and Rhyme, qui vient de sortir sous le label indépendant Righteous Babe Records, le duo punk-folk confirme son talent incisif et joyeusement provoquant. Ames bourgeoises bien-pensantes, affalées dans leurs conceptions patriarcales, hétérosexuelles et conventionnelles éculées, s’abstenir!


C’est au cours du siècle dernier que les spermatozoïdes d’un ouvrier métallurgiste et ceux d’un prof de math sont gaillardement allé à la rencontre des ovaires d’une danseuse de claquette et d’une enseignante d’un jardin d’enfant. Le résultat? Les deux héroïnes d’une histoire qui a commencé en 1994 autour d’un champi dans une école de théâtre de Chicago: Bitch, 29 ans, voix douce et dreadlocks, maniant notamment le violon, la basse et le yukulele et Animal, 26 ans, crête iroquoise rouge et lunettes sorties des fifties, aux percussions et à la batterie. Voilà pour la biographie officielle, on n’en saura pas plus… «Les femmes sont toujours regardée d’en haut et lorsqu’il y en a une qui tient tête, qui affirme ce qu’elle veut et défend ses droits, elle est souvent considérée comme une «salope», la société veut voir les femmes comme des animaux, dociles et faciles à gérer». Et les deux musiciennes de prendre le contre-pied en se rebatisant, avec humour et provocation, Bitch et Animal.

La scène avant tout

The Pussy Manifesto

«Un homme qui aime les femmes on appelle ça un Don Juan, une femme qui aime les hommes on appelle ça comment?» C’est avec humour que le groupe français Tryo dénonce notre société qui voit dans toute femme entreprenante à l’égard d’un homme, une «salope», une «nympho» ou encore une «hystérique». C’est avec un humour plus percutant que Bitch and Animal ont sorti en 1998 leur «Pussy Manifesto»1. La société a peur des femmes et voudrait les réduire à un idéal ridicule, celui de la «gentille fille à papa». Et quand une femme ne joue pas docilement son rôle de soumise, alors elle est copieusement insultée, dénigrée, méprisée. Bitch et Animal en ont marre que le sexe de la femme soit systématiquement évoqué par des termes dégradants et se réapproprient le terme «pussy» qu’elles utilisent désormais comme un compliment…

(eg)

  1. http://www.bitchandanimal.com/pussy2.html


C’est donc en 1994 que l’histoire de mademoiselle Bitch et de miss Animal commence. Les concerts se suivent et s’enchaînent sur la Côte Est et le duo commence à se faire connaître comme «le groupe à voir» au sein des cercles politiques radicaux. En 1998, année où elles sortent leur «Pussy Manifesto», elles sont contactées par une certaine Ani Difranco pour l’accompagner dans sa tournée et en assurer les premières parties. Ce n’est qu’en 1999 que sort leur premier CD What’s That Smell, les deux acolytes préférant la chaleur de la scène et le contact avec le public. Dans une interview, Bitch explique l’importance de ce contact: «J’espère que notre musique inspire les gens pour qu’ils se libèrent, qu’ils s’affirment et revendiquent ce qu’ils pensent, qu’il prennent de plus en plus d’espace et s’expriment librement». Après avoir tourné avec la folksinger de Buffalo, elles entrent dans la petite famille de Righteous Babe Records et enregistrent, en 2001, leur deuxième album, Eternally Hard, coproduit par Ani Difranco.

Humour et provoc’

Avec Eternally Hard, les choses commencent à se bousculer. «Avant, quand on jouait sur une scène, on connaissait au moins 20% du public, maintenant on se trouve devant des foules d’inconnus.» Mais l’audience grandissante du duo n’a en rien altéré, bien au contraire, le coté incisif et provocateur des deux musiciennes. Eternally Hard débute avec une chanson merveilleusement ironique sur l’affligeante stupidité de certains mâles tellement fiers de leur appendice érectile, alors qu’un bon godemiché, perpétuellement dur, sera toujours «the best cock on the block» dans cette compétition puérile… «Ganja», variation sur le thème musical d’«Ave Maria» est une chanson délicieusement hérétique qui revisite de façon hilarante l’histoire de l’immaculée conception…


Le dernier opus de Bitch and Animal, Sour Juice and Rhyme, est un album énergique et percutant mais aussi spontané et doux. Le métissage entre musique punk, ballades folk et hip-hop mélodieux ravira les afficianados de l’underground anglais du début des années 80 et étonnera agréablement celles et ceux jusque là peu réceptif à ce style de musique. Le duo new-yorkais, qui revendique haut et fort leur droit de pouvoir vivre librement leur homosexualité, livre donc une nouvelle galette qui sonne comme un bon coup de tonnerre salvateur dans cette Amérique maladivement pudibonde et bien-pensante. On y trouve «Feminist Houswives», ballade au violon et au yukulele, qui fait partie du répertoire de Bitch and Animal depuis longtemps, enfin immortalisée. «You Left Out» est une douce évocation poétique d’un cœur blessé par un amour qui s’évapore. Enfin, «Secret Candy» est probablement le morceau le plus jouissif. Rap tribal dans lequel Britney Spears et Eminem en prennent pour leurs grades. Faisant référence à «I’m Not a Girl, Not Yet a Woman» de Britney Spears, Animal chante, malicieuse, «Not quite a girl? Not quite a Woman? How ‘bout a butch dyke riding your bike?» Eminem et ses penchants homophobes ne sont pas épargnés: «See, Eminem will be my fagot bitch for a while. I’ll bent him over hard, but I’ll do it with style!» Direct, revendicatif, caustique, simplement excellent!


Erik GROBET