Temps partiel et dérégulation: les femmes visées

Temps partiel et dérégulation: les femmes visées

Le Bureau Fédéral de l’Egalité entre femmes et hommes a placé le travail à temps partiel au centre de sa récente campagne «Fair-play at work». Celui-ci y est présenté comme une voie que les entreprises peuvent développer pour aider chacune à concilier ses activités familiales et professionnelles. Qu’en est il en réalité?


Souvent perçu comme un phénomène récent, le travail à temps partiel existe depuis longtemps, dans les grands magasins, les transports et les autres services publics, où, de tout temps, on a recruté des auxiliaires, aussi bien des hommes que des femmes, pour assurer la continuité des prestations. Depuis la fin des années 70, cette forme d’emploi connaît cependant un développement et une féminisation importants. En Suisse, près d’une salariée sur trois travaille à temps partiel, tandis que plus de 80% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Plus précisément, plus d’une femme active sur deux (55%) travaille à temps partiel contre près d’un homme sur dix1.

Une panacée ou un piège?

Le temps partiel est présenté comme la «formule magique» qui permet la «conciliation» famille-travail. Or, cette forme d’emploi est davantage un instrument de flexibilisation de l’emploi qu’un moyen idéal d’assumer simultanément l’éducation des enfants et une activité rémunérée. Le temps partiel est concentré dans le commerce, le nettoyage, les services aux particuliers, la santé et le social (vendeuses/caissières, nettoyeuses, aides-soignantes, etc.), c’est-à-dire dans des emplois peu ou pas qualifiés et faiblement rémunérés. Il est peu développé dans l’administration, l’enseignement et les professions libérales, et reste exceptionnel chez les dirigeantes. Une durée du travail inférieure à 50% du plein temps2 est source de précarité et de discriminations diverses: les salariées ne peuvent pas constituer une prévoyance professionnelle et ne sont pas soumises aux conventions collectives de travail.


De plus en plus, le temps partiel est une forme de sous-emploi: en 2002, près de 360000 personnes désiraient augmenter leur taux d’occupation. Ensuite, dans un contexte de flexibilité croissante du temps de travail, il est erroné de penser que les salariées puissent choisir leurs horaires. La demande des mères de famille ne correspond pas à celle des employeurs, qui cherchent à disposer de la main d’œuvre seulement lorsque le carnet de commande est plein. Enfin, le temps partiel n’équivaut pas à plus de temps libre: une grande partie des activités qui pourraient être réparties au sein du couple, ou déléguées à l’extérieur, sont effectuées par la personne à temps partiel, contribuant ainsi à une répartition traditionnelle des rôles!

Temps partiel ou réduction du temps de travail

Dans un pays où la durée hebdomadaire du travail (plein temps) est très élevée, où les horaires scolaires sont hétérogènes, où l’insuffisance des infrastructures de garde de la petite enfance est criante, le temps partiel permet certes à certaines femmes et à quelques hommes de mieux vivre, pendant une période, la «conciliation» famille-travail. Confrontées à l’organisation quotidienne de temps différents, il n’est pas surprenant que plusieurs dizaines de milliers de salariées souhaitent réduire leur temps de travail. Mais la réalisation de cette aspiration dépend largement du niveau de qualification et de la position professionnelle. S’il est fréquent chez les avocates, médecins, enseignantes ou journalistes, par exemple, l’aménagement du temps de travail est rare pour la main d’oeuvre peu qualifiée, davantage soumise à un temps contraint.


Débattre du temps partiel sous l’angle du «choix» revient ainsi à occulter le rôle du marché du travail dans la fixation de l’offre de travail. Pensons à l’essor du travail sur appel, du travail du soir ou du week-end, ainsi qu’aux plannings qui ne sont connus que quelques jours à l’avance. Bref, contrairement à ce que laisse penser la notion de «conciliation», le temps partiel est davantage synonyme de stress et de tension que d’équilibre et de bonheur. Plus encore, en tentant de revaloriser le temps partiel auprès des entreprises et des hommes, cette campagne va à l’encontre de la réduction du temps de travail et du développement des crèches et des garderies3.


Comme plusieurs études le montrent, un partage «équitable» du travail domestique dans le couple ne peut s’instaurer que lorsque les deux partenaires ont un taux d’occupation identique, voire travaillent à plein temps. Enfin, il ne s’agit pas seulement de trouver des aménagements du temps de travail rémunéré, il faut aussi prendre toute la mesure du caractère essentiel des tâches domestiques et éducatives pour la société et sa reproduction. Cela ne sera pas possible sans une réduction importante du temps de travail professionnel pour toutes et tous, de même que sans une lutte de chaque instant pour une répartition égalitaire des charges domestiques entre femmes et hommes.


Magdalena ROSENDE

NB: Le féminin utilisé dans cet article comprend aussi bien les femmes que les hommes.

  1. Enquête suisse sur la population active 2002.
  2. La moitié des salariées à temps partiel a un taux d’occupation inférieur à 50%. Cf. Strub Sylvia, BASS (2003), Le travail à temps partiel en Suisse. Étude axée sur la répartition du travail à temps partiel entre femmes et hommes et sur la situation familiale des personnes actives occupées. L’étude est disponible en format PDF sous www.fairplay-at-work.ch
  3. Cette campagne insiste en effet sur les bénéfices de productivité assurés par les salariées à temps partiel.