Réfugié·e·s à Côme

Réfugié·e·s à Côme : Quand la Suisse refile la patate chaude à l'Italie

Notre rédaction s’est entretenue avec Andrea Cegna, activiste milanais et collaborateur de la Radio popolare de Milan et de la radio Onda d’urto de Brescia à propos de la situation des réfugié·e·s à la frontière italo-helvétique.

Des centaines de réfugié·e·s sont bloqués à Côme, contraints de dormir dehors. Que sais-tu de la situation sur place? Penses-tu qu’une situation similaire à celle de Calais pourrait s’installer?

Côme est historiquement une ville fermée. La Lega Nord a remporté les élections locales durant des années. Il est donc relativement inattendu que la population s’active aux côtés des migrant·e·s. Je ne pense pas qu’il y ait de marge pour qu’une «jungle» s’installe comme à Calais. La politique locale ne le permettra pas: les personnes qui arrivent sont bloquées et les autorités vont chercher à régulariser la situation en mettant sur pied des camps officiels ou en répartissant les requérant·e·s d’asile dans des structures déjà existantes.

Cette concentration de migrant·e·s à la frontière helvétique intervient à un moment où les demandes d’asile en Suisse ont diminué de 36 % par rapport à l’été 2015. Comment peut-on l’expliquer?

L’Allemagne a intensifié ses contrôles à la frontière et bloqué l’arrivée de migrant·e·s. En même temps, la route du Brenner et celle de Vintimille ont été fermées. Côme est la dernière frontière à avoir été fermée. Donc, la situation à Côme résulte en partie de la fermeture du robinet par l’Allemagne et de la volonté de la Suisse qui, de ne voulant pas se retrouver avec cette patate chaude, renvoie le problème à l’Italie, en partie parce que la fermeture du Brenner et de Vintimille ont recentré le flux sur Côme. De plus, la Suisse est très rigide dans l’application des accords Dublin tandis que l’Allemagne l’est moins, donc les demandes d’asile sont redescendues plus au sud.

Y a-t-il eu un changement dans la politique migratoire du gouvernement italien ces derniers mois?

Non. La politique migratoire de l’Italie est assez constante ces derniers mois, y compris la gestion logistique dramatique des points chauds… A Côme, l’insensée – et dramatique – situation de Vintimille est en train de se reproduire [voir encart, réd.]. L’Italie accueille à sa manière. Désormais la majorité des demandes d’asile sont rejetées, et cela crée une situation généralisée dans le pays: la présence de milliers de personnes sans aucun permis de séjour, qui ne sont pas réellement expulsées et qui demeurent dans des conditions de «clandestinité», victimes de surexploitation au travail et dans leur vie quotidienne. Dans le même temps, l’Italie laisse la gestion des urgences aux mains des politiques locaux. Elle demande de dépasser les accords Dublin, mais timidement. Elle le demande parce qu’elle sait que si cela continue ainsi, le nombre de migrant·e·s qui «pèseront» sur le pays ne cessera d’augmenter. Par ailleurs, elle essaie de convaincre les autres membres de l’Union européenne de conclure avec les pays africains un accord similaire à celui signé avec la Turquie d’Erdogan, pour déplacer à l’étranger les frontières et donc la «gestion» (soit le contrôle et la répression) des migrations vers l’Europe. C’est une situation difficile aussi bien du point de vue local qu’international.

Quelle est la réaction de la population à Côme? Comment peut-on venir et apporter de l’aide pour agir dans cette situation particulière?

La solidarité est forte, mais ce qui l’est moins c’est la capacité de comprendre que la question est politique: les migrant·e·s sont contents de l’aide reçue, mais ils et elles ne veulent pas rester à Côme. Il y a un nœud principal, et il est complexe: si toutes les consciences, des humanitaires aux politiques en passant par les solidarités ponctuelles arrivaient à se constituer en force politique et pas seulement en organisme de «solidarité», alors peut-être que les conditions de base pour transformer l’Europe changeraient. Si la solidarité se limite à l’appui logistique, ce qui est sans doute un élément important venu droit du cœur, cela ne change pas ce qui existe. La construction d’un tel espace politique n’est pas simple, ce n’est pas un passage immédiat. En même temps, il est important de commencer à tisser des réseaux de solidarité internationaux, aux frontières. Et ceci avec des objectifs prioritairement politiques plutôt que de solidarité immédiate, afin de modifier en profondeur les politiques contre les migrant·e·s sur notre continent.

Traduction: Giulia Willig


«L’exemple» de Vintimille

Voici comment Le Monde, dans son édition du 19 août, décrivait la situation à la frontière franco-italienne:

«Face à l’augmentation des arrivées, Vintimille et les services de l’Etat italien se sont résolus, le 17 juillet, à ouvrir un camp ‹ officiel ›, après en avoir fermé un autre, plus improvisé, il y a un an et vidé plusieurs fois des campements. Géré par la Croix-Rouge italienne, le lieu est déjà saturé un mois après son ouverture. La convention entre l’Etat et la Croix-Rouge n’est pas encore signée qu’ils réfléchissent à ajouter des tentes et des lits.

Sur un terrain vague et désaffecté des chemins de fer, en marge de la ville accrochée à son piton rocheux, un ensemble de conteneurs climatisés a été installé, complété par plusieurs centaines de lits de camp, installés dans tous les recoins ombragés. ‹ Nous avons déjà 600 personnes pour 340 places ›, se désole, impuissant, le directeur, Valter Muscatello. Les nouveaux arrivants sont acceptés, mais ils dorment à même le sol, sans lit ni couverture, bénéficiant toutefois des deux repas, de la douche, et des autres services de la Croix-Rouge.»

Du côté français, les dispositifs prétendument antiterroristes servent surtout à repousser et réprimer les réfugié·e·s.