«Monnaie pleine»

«Monnaie pleine» : Une initiative pour changer les règles du jeu monétaire

En décembre 2015, l’initiative populaire fédérale «Monnaie Pleine» a abouti avec plus de 110 000 signatures déposées à Berne. De quoi s’agit-il? Nous publions ici une présentation de notre camarade Jacques François à ce sujet.

La dérégulation du système financier mondial est à l’origine de la crise de 2008. La liberté laissée aux banques de créer une quantité énorme de monnaie par les crédits accordés sans retenue a conduit à cette crise lorsqu’il a été évident que les crédits ne seraient jamais remboursés. N’oublions pas que lorsqu’une banque accorde un crédit, elle ne possède pas en monnaie l’équivalent de ce crédit. En fait, elle doit avoir légalement à disposition, selon le type de crédit, en moyenne 12 % de la totalité du crédit en fond propre. Cela signifie que plus de 80 % du crédit en question est dû à la création ex nihilo de monnaie, dite scripturale car sa création consiste en une simple écriture dans les comptes de la banque.


Siège de Crédit Suisse (image tirée du livre Can I?, édition Haus am Gern 2014) – Giacommo Bianchetti

Le mythe de l’autorégulation des banques

Lorsqu’un industriel demande un crédit, la banque crée la monnaie nécessaire à cette opération. La monnaie ainsi créée disparaîtra lors du remboursement du crédit. Dans ce cas, le besoin de monnaie est justifié économiquement et la monnaie n’est créée que le temps du crédit. Ce qui n’est pas le cas si le crédit ne sert qu’à des opérations sur les produits financiers.

Bien entendu, les comportements à risques des banques sont aussi vieux qu’elles-mêmes. En Suisse, la volonté de régulation des opérations bancaires s’est toujours heurtée aux banques dont on sait qu’elles sont bien représentées dans les instances politiques. Au lieu d’une législation efficace, les banques font miroiter le mythe de l’autorégulation: «Nous sommes assez sages pour nous réguler nous-mêmes». On a vu le résultat! Ce qui nous permet d’attendre la prochaine crise sans aucun doute sur son occurrence, le moment de l’explosion étant la seule inconnue. C’est à ce fonctionnement dangereux des banques, hors de tout contrôle démocratique, que l’initiative veut répondre.

Avec l’initiative la seule BNS créerait de la monnaie

L’initiative «Monnaie pleine» a été lancée par un groupe hors des organisations politiques. Elle vise à rendre le système économique stable en luttant contre l’instabilité financière. Pour cela, les banques d’affaires ne doivent plus pouvoir créer de la monnaie scripturale en accordant des crédits, la création de monnaie étant réservée à la seule Banque nationale. Ces banques ne pourront accorder des crédits que s’ils sont complètement couverts par l’argent des épargnants.

D’autre part, la BNS devra veiller à générer uniquement la quantité de monnaie nécessaire à l’économie.

Sans considérer les questions pratiques que cette initiative pose, considérons les changements fondamentaux qu’elle implique.

  1. L’initiative revient pratiquement à «nationaliser» le crédit, la Banque nationale étant la seule instance à en décider. Les problèmes d’organisation ne vont pas être simples, la Banque nationale ne pouvant, au contraire des banques locales, connaître le tissu économique avec précision. Comment pourra-t-elle décider que tel crédit est utile à l’économie et tel projet ne l’est pas? Plus que cela, un vrai plan national de développement devra être élaboré qui définira les priorités économiques en particulier les priorités des investissements. Mais de cela, l’initiative ne parle pas.
  2. La libre circulation des capitaux devra être restreinte afin que les entreprises ne courent à l’étranger pour obtenir les crédits qui leur seraient refusés ou octroyés avec difficultés par la BNS. Les accords internationaux de la Suisse en cette matière posent de sérieux problèmes.
  3. Un contrôle des changes devra être établi pour que la spéculation sur les changes n’oblige pas la Banque nationale à générer du franc en quantité pour maintenir la parité au niveau voulu.

Une mise en œuvre satisfaisante? Improbable…

L’ensemble des actions que cette initiative implique est difficile à tenir en solitaire pour une Suisse fortement imbriquée dans le système économique mondialisé.

Au cas, improbable, où l’initiative «Monnaie pleine» serait acceptée au vote, son application à la lettre, avec les conséquences décrites plus haut, a peu de chance de voir le jour. La latitude laissée à la Banque nationale concernant les crédits lui permettra sans problème de déléguer aux banques l’émission de crédits. Bien sûr, avec quand même un meilleur contrôle. Quant à la quantité de monnaie émise, «selon les besoins» de l’économie, la marge d’appréciation sera sans doute très large et dictée par les demandes des banques et non par les besoins de la population.

Un soutien sans illusions

Evidemment, en considérant qu’on ne peut rien changer car le système économique mondialisé ne le permettra pas, peu d’avancées critiques sont possibles! Cette croyance est si enracinée qu’elle fonctionne comme censure de toute idée de changement. Cette initiative mérite donc qu’on s’y intéresse d’autant qu’elle met en évidence les dangers du fonctionnement actuel du système bancaire.

Cependant, iI y a chez les auteur·e·s de l’initiative quelques illusions difficiles à comprendre sur les possibilités d’un changement radical des pratiques des dirigeants économiques par un vote populaire. Les pratiques des banques ne sont pas solubles dans une initiative aussi légitime, nécessaire et politiquement correcte soit-elle.

Que faire dès lors au moment de la votation? Accepter l’initiative pour exprimer notre volonté de changement radical du système bancaire, mais sans illusion sur le résultat. En espérant qu’une défaite trop importante ne permettra pas aux banques de se débarrasser pour des années de toute tentative de contrôle démocratique des opérations financières, aussi modeste soit-elle.

Jacques François