Inde

150 millions de travailleurs et travailleuses disent non à la loi travail

Le 2 septembre passé, en Inde, quelque 150 millions de personnes ont suivi le mot d’ordre de grève d’une dizaine de syndicats indiens liés au parti du Congrès ou à d’autres partis plus à gauche. En signe d’opposition à la réforme du droit du travail initiée par le gouvernement central, des salariés et salariées de tout le pays ont refusé de se rendre à leur place de travail.

Cette grève nationale de 24 heures, la plus importante depuis deux ans, a touché en particulier la fonction publique, le secteur minier et manufacturier, ainsi que les transports. Des banques publiques, des magasins, des écoles et des gares étaient fermés et désertés dans plusieurs villes du pays. Des heurts ont été recensés entre la police et des activistes dans l’est de l’Inde, où les syndicats ont une forte assise, notamment à Calcutta. À New Delhi, de longues files d’attente se sont formées aux arrêts de bus et les voyageurs se trouvaient bloqués à l’aéroport en raison d’une absence de taxis et de rickshaws.

Salaire minimum décent et sécurité sociale pour toutes et tous

Le gouvernement indien est dirigé depuis 2014 par le Premier ministre Narendra Modi, du parti pro-­nationaliste hindou BJP, qui a été élu sur la promesse de relancer la croissance et de créer de l’emploi en libéralisant l’économie. Deux ans plus tard, le constat se précise: la libéralisation avance à marche forcée pour garantir un semblant de croissance économique, au détriment des emplois – directement menacés par le gouvernement lui-même – et du développement social. Preuve en est le budget indien 2016-2017, où Modi prévoit une coupe dans les dépenses publiques de 560 milliards de roupies (7,5 milliards d’euros) grâce à la privatisation ou à la fermeture d’entreprises publiques déficitaires. A cor et à cri, les syndicats dénoncent cette initiative qui signifierait des pertes massives d’emplois.

Par cette gestion libérale, les autorités et le patronat cherchent à simplifier la législation en matière de travail et veulent un code du travail unique pour l’industrie, afin de ne pas freiner l’arrivée des investisseurs étrangers. Le gouvernement a également décidé de faciliter le licenciement dans les entreprises de plus de 300 personnes et de rendre plus difficile la création de nouveaux syndicats. Apparemment, le droit des employé·e·s, lui, ne constitue absolument pas un frein aux décisions favorisant les entreprises et les actionnaires.

De leur côté, les syndicats exigent de renoncer à faciliter les licenciements et à fermer les usines hors d’âge. Le mois dernier, ils avaient déjà réclamé l’amélioration des mesures de sécurité sociale et la fixation d’un salaire minimum national plus élevé que le minimum actuel. Les journaliers et les employé·e·s du secteur informels ont aussi rejoint le mouvement pour réclamer cette hausse du salaire minimum, qu’ils ne peuvent exiger à un employeur mais qu’ils réclament de la part de l’Etat.

Cherchant à amadouer les syndicats et dans l’espoir d’éviter la grève, les autorités ont proposé de faibles compensations, notamment d’accéder à cette hausse du salaire minimum. De la simple poudre aux yeux: il s’agirait de passer de 6400 Rps à 9100 Rps mensuelles (respectivement 85 et 121 euros). Insuffisant pour les syndicats, qui réclament l’instauration d’un salaire plancher à 18000 Rps par mois (240 euros) ainsi que la création d’une sécurité sociale universelle.

Avec la mobilisation du 2 septembre, les syndicats ont énoncé 12 revendications. Outre un salaire minimum décent et la sécurité sociale garantie de 3000 Rps (40 euros) mensuelles même pour les salarié·e·s du secteur informel, les demandes concernent entre autres la fin de l’emploi journalier au profit de contrats à durée indéterminée pour les travailleurs et les travailleuses, l’emploi pour chacun et chacune, le renforcement des lois du travail et du contrôle de leur application et une gestion urgente des prix. En bref, des exigences ni extravagantes ni nouvelles, mais qui seront difficiles à obtenir, malgré un soutien populaire considérable.

 

Contre l’austérité et la xénophobie

La grève a symboliquement été organisée un an jour pour jour après la grève générale qui avait déjà amené 150 millions de travailleurs·euses dans la rue en 2015. A l’époque, une augmentation du salaire minimum et une pension universelle étaient déjà réclamées, ainsi que la cessation des privatisations et des lois anti-syndicales.

Le chemin sera long avant d’obtenir des acquis sociaux durables de la part d’un gouvernement de droite, voire d’extrême-droite. De ce point de vue, la mobilisation populaire est aussi un signe de résistance face au parti pro-nationaliste hindou, dont les discours xénophobes ne suffisent plus à cacher la volonté d’instaurer un régime d’austérité.

Néanmoins, depuis la grève de 2015, le gouvernement a été contraint de former un comité avec des chefs de cabinets, incluant des figures comme le ministre des Finances, pour négocier avec les syndicats. Il est regrettable que les leaders syndicaux n’aient rencontré qu’une fois le comité depuis sa création. Ils plaçaient leurs espérances dans une nouvelle grève encore plus massive pour reprendre les négociations, souhait qui a été en partie exaucé par le maintien du nombre spectaculaire de personnes dans la rue.

Le manque de réponse face aux demandes des syndicats montre que la bataille sera rude. Malgré tout, cette grève est un début encourageant pour un mouvement des travailleurs·euses indiens et même international. C’est également le signal que le peuple, bien que soumis à une précarité écrasante, n’a pas perdu espoir et peut prendre son destin en main.

Aude Martenot