Inde

Protestations record contre de nouvelles lois sur le travail

En septembre 2020, le gouvernement indien a adopté de nouvelles lois sur le travail et l’agriculture fixant les prix, la vente et le stockage des produits agricoles et supprimant des garanties protégeant le secteur agricole des aléas du marché libre.

Marche des paysan·ne·s sur Delhi, 27 novembre 2020
Marche des paysan·ne·s sur Delhi, 27 novembre 2020

Ces lois visent à démanteler le système complexe du marché local, réglementé par l’État, qui regroupe les agriculteurs·rices, les travailleurs·euses et les intermédiaires économiques. Bien qu’imparfait, ce système offrait des libertés aux petites entreprises et aux collectivités locales, ce qui ne sera plus le cas d’un marché unique géré par les entreprises.

Alors que le gouvernement promet de doubler les revenus des agriculteurs·rices en ouvrant l’économie agraire aux investisseurs·euses privé·e·s, les petits agriculteurs·rices, qui représentent 85 % du secteur agricole, craignent d’être perdants car ils·elles auront peu de pouvoir de négociation et de ressources pour traiter avec les grandes entreprises.

Conditions de travail démantelées

Tout aussi importantes sont les « réformes » du travail. Elles ont encore affaibli les droits des travailleurs·euses des secteurs formel et informel. Ils·elles peuvent désormais être embauché·e·s et licencié·e·s plus facilement et voient leur droit de grève restreint. Par ailleurs, ces révisions réduisent le pouvoir de négociation des salarié·e·s les plus précaires, travailleurs·euses migrant·e·s et des salarié·e·s journaliers·ères qui constituent environ 90 % de la main-d’œuvre indienne. Une redéfinition des modèles commerciaux prévoyant des journées de travail plus longues se fera au grand bénéfice des fabricant·e·s.

Ces lois ont été adoptées juste après le lockdown national de mars 2020, mis en œuvre avec un préavis de seulement quatre heures. Cette mesure a bloqué les travailleurs·euses migrant·e·s, souvent sans salaire, et les a obligé·e·s à marcher des centaines de kilomètres pour rentrer chez eux·elles. Le lockdown et la crainte publique de contagion ont ainsi été utilisés pour limiter l’expression démocratique. Ainsi, le gouvernement Modi a su utiliser la pandémie comme une occasion de faire passer un certain nombre de réformes répressive envers les travailleurs·euses.

Qui sème la misère…

Face à ses mesures, des protestations ont eu lieu dans différentes régions de l’Inde depuis le mois d’octobre dernier. La détermination des manifestant·e·s a mis le parti au pouvoir dans une situation délicate. Depuis le 28 novembre, le gouvernement a utilisé des barricades, des fils barbelés, des canons à eau, des gaz lacrymogènes et des matraques. De plus, des tranchées sur les autoroutes ont été creusées, afin d’empêcher les milliers d’agriculteurs·rices des États voisins du Pendjab, de l’Haryana et de l’Uttar Pradesh de se rendre à la capitale Delhi. Malgré tout, les manifestant·e·s se sont rassemblé·e·s à différents points d’entrée de la ville.

Et cette mobilisation a contraint le gouvernement à ouvrir des négociations. Le 8 décembre, plus de 500 syndicats d’agriculteurs·rices et d’ouvriers·ères ont organisé une journée de grève nationale. Le 12 décembre, des milliers de paysan·ne·s et d’ouvriers·ères se sont rassemblé·e·s aux postes de péage dans tout le pays et ont assuré la circulation gratuite des véhicules. Des protestations massives ont eu lieu devant les pompes à essence de Reliance et d’autres établissements d’Adanis et d’Ambanis (les deux entreprises géantes qui bénéficieront de ces lois). Le 14 décembre, les manifestant·e·s ont observé une grève de la faim d’une journée. D’autres actions se poursuivront si le gouvernement n’accepte pas d’abroger ces lois !

Pour un réel soutien au secteur agricole

Les revendications des agriculteurs·rices comprennent entre autres : l’abrogation de ces nouvelles lois, une légalisation concernant un prix minimum de soutien (PMS) et des achats publics de produits agricoles.

Le secteur agricole emploie la moitié des 1,35 milliard d’habitant·e·s de l’Inde et contribue à 15 % de l’économie indienne. L’endettement croissant, les mauvaises récoltes et les sécheresses rendent l’agriculture non viable, ce qui entraîne un taux de suicide élevé chez les agriculteurs·rices. Des lois qui appauvrissent les agriculteurs·rices au profit des entreprises entraînant leur endettement et l’aliénation des terres, la destruction du système de distribution publique et l’affaiblissement de la sécurité alimentaire ne sont plus supportables. Une réforme qui donnera du pouvoir aux personnes qui dépendent du secteur agricole est urgente et indispensable !

Il n’est donc pas surprenant que ce mouvement bénéficie d’un large soutien dans le pays et dans la diaspora. La tentative du gouvernement Modi de présenter la protestation actuelle comme étant anti-nationale fait craindre une sévère répression, d’où la nécessité de rester vigilant·e·s, pour pouvoir y répondre par la solidarité.

Mary Mathai