France

Vertige autoritaire et islamophobe

Projets de loi sur la « sécurité globale » et le « séparatisme », perquisitions, ou encore dissolutions d’associations musulmanes, le gouvernement français a lancé ces dernières semaines une offensive islamophobe et autoritaire extrêmement inquiétante.

Manifestation contre l'islamophobie
Manifestation contre l’islamophobie, Paris, 10 novembre 2019

Au nom de la lutte contre le terrorisme, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) s’est vu notifier sa dissolution, suite à un décret gouvernemental aux arguments juridiques vaseux. Un peu plus tôt, c’était l’ONG islamique Barakacity qui était dissoute en Conseil des ministres. Dans les semaines qui ont suivi le meurtre de Samuel Paty, nous avons assisté à des vagues de perquisitions « pour l’exemple » (selon les mots de Gérald Darmanin) et des enfants soupçonnés « d’apologie du terrorisme » ont été placés en garde à vue et longuement interrogés.

En outre, les deux projets de lois mentionnés impliquent des fuites en avant autoritaires extrêmement graves, dont la plus visible concerne l’interdiction de diffuser des images de policier·ère·s. Ils s’accompagnent d’une répression policière toujours plus violente, dont témoigne l’évacuation brutale d’exilé·e·s de la place de la République.

Pourquoi cette offensive ? Le gouvernement Macron-Castex fait face à un mouvement social dont les composantes sont en train de s’agréger. Révolte de 2005, mouvement contre la loi travail, luttes antiracistes et de l’immigration, Gilets jaunes, grève contre la réforme des retraites (mais aussi contre « Macron et son monde ») : la séquence politique dans laquelle nous nous trouvons semble bien marquée par un essaim de luttes.

Avec l’importance qu’a prise la dénonciation des violences policières, notamment suite à la répression des Gilets jaunes, des liens ont pu se créer entre les organisations de gauche politique et syndicale et les militant·e·s de l’immigration, en particulier les personnes organisées autour du comité Adama (voir notre entretien avec Y. Brakni, solidaritéS nº 340). En outre, la marche du 10 novembre 2019 a imposé la lutte contre l’islamophobie à l’agenda politique. À l’initiative des militant·e·s de l’immigration (post)coloniale, le mouvement social commençait donc à faire front commun face à la violence du capitalisme racial néolibéral.

Ainsi, cette offensive raciste sert à réprimer ces luttes, mais surtout à mettre un coup d’arrêt à la convergence qui commençait à se dessiner. Il ne faut pas pour autant en conclure que l’islamophobie sert à « cacher les vrais problèmes » comme on peut le lire ici ou là. Dire cela constitue une violence supplémentaire pour les musulman·e·s (ou les personnes identifiées comme telles), en sous-entendant que cette déshumanisation raciste n’a pas besoin d’être pensée et combattue politiquement. Pour la gauche, l’urgence est donc de construire une lutte sans concession contre l’islamophobie, de la placer au cœur de ses préoccupations, sans quoi nous continuerons à nous diriger inexorablement vers la barbarie.

Anouk Essyad