Inde

La colère gronde contre Modi

En Inde, les mobilisations paysannes ne faiblissent pas. Luttant contre la libéralisation du secteur agricole et les atteintes du gouvernement Modi au droit du travail, agriculteurs·trices et ouvriers·ères agricoles unissent leurs forces.

Manifestation pour la libération de Disha Ravi, Delhi, 21 février 2021
Manifestation pour la libération de Disha Ravi, Delhi, 21 février 2021

Le 23 février, un tribunal indien a accordé la liberté sous caution à la militante pour le climat Disha Ravi, 22 ans, une des fondatrices de Fridays for Future en Inde. Dix jours auparavant, elle avait été arrêtée pour son rôle présumé dans la création d’un document en ligne, destiné à amplifier les protestations des agriculteurs·trices. Ce document fait partie d’une enquête policière sur la prise d’assaut du complexe historique Red Fort de New Delhi par un groupe d’agriculteurs, le 26 janvier. Il s’agit de l’un des rares incidents violents des manifestations en cours, qui avaient toujours été pacifiques. 

Les dirigeant·e·s agricoles ont condamné cette action qui a été, selon eux, menée par des agents provocateurs liés au parti au pouvoir.  En réponse, le gouvernement a coupé les services internet, d’eau courante et d’électricité dans la zone des mobilisations. De plus, la police a érigé des barricades en béton, déployé du fil barbelé et martelé de longs pics métalliques sur les routes à Singhu et sur d’autres sites de protestation clés aux frontières du Delhi, afin de restreindre la mobilité. L’enquête sur ces violences se poursuit dans le cadre des lois antiterroristes, très strictes et souvent mal utilisées.

Répression syndicale brutale

Le 22 février, plus de 100 000 agriculteurs·trices et ouvriers·ères agricoles ont participé au rassemblement du Mazdoor Kisan Ekta (Grande unité des travailleurs et paysans). Il s’est tenu dans le plus grand marché de céréales alimentaires de Barnala, au Pendjab, pour protester contre les lois agricoles et pour renforcer la solidarité entre ouvriers·ères et agriculteurs·trices. Ils·elles y ont également lancé un appel à la libération des militant·e·s syndicaux·ales Nodeep Kaur, 24 ans, et Shiv Kumar, 25 ans, emprisonné·e·s et torturé·e·s depuis le 12 janvier pour avoir mobilisé les travailleurs·euses. 

La police les a arrêté·e·s pour extorsion et tentative de meurtre en représailles d’une manifestation que Kaur et ses collègues de la Mazdoor Adhikar Sangathan (Organisation des droits des travailleurs) ont organisé devant une usine dans la zone industrielle de Kundli, près de Singhu, pour réclamer des salaires impayés. Si Nodeep Kaur a été libérée sous caution le 26 février, son camarade Shiv Kumar est dans l’attente d’une audience, prévue le 16 mars.

Des travailleurs·euses uni·e·s

En décembre, le syndicat avait mobilisé 2000 travailleurs·euses pour une journée de grève en solidarité avec les agriculteurs·trices, tout en soulevant des questions sur le paiement de leurs salaires. Le mouvement a ainsi réussi à établir des solidarités plus larges entre une partie des travailleurs·euses et des agriculteurs·trices. Les travailleurs·euses, comme les agriculteurs·trices, s’inquiètent de la fermeture éventuelle des marchés publics. Ils servent de centres de distribution aux agriculteurs·trices où un prix de soutien minimum est garanti. De nombreux·ses travailleurs·euses y trouvent un emploi comme porteurs·euses et emballeurs·euses pendant la saison des récoltes. 

Les modifications apportées à la loi sur les produits essentiels sont une autre préoccupation. Elles exemptent les céréales, les légumineuses, les oléagineux, les pommes de terre, les oignons et les huiles comestibles des restrictions en matière de stockage, ce qui, selon certain·e·s, pourrait conduire les entreprises à s’accaparer ces biens. Cela entraînerait une hausse des prix et rendrait  la nourriture inaccessible aux pauvres. 

Les travailleurs·euses industriel·le·s des secteurs de la construction automobile, du plastique, de la soudure et du fer profitent des protestations agricoles pour sensibiliser le public aux changements apportés par le gouvernement Modi au droit du travail en 2020. Ceux-ci vont affaiblir les droits des travailleurs·euses, la sécurité sociale et d’autres protections pour les personnes travaillant dans le secteur informel. 90 % (450 millions) de la main-d’œuvre en Inde travaille dans le secteur informel et 75 % des emplois perdus en 2020 l’ont été dans ce secteur. Plus de 300 de ces travailleurs·euses sont mort·e·s à cause du confinement : faim, suicide, épuisement, accidents routiers et ferroviaires, brutalité policière ou encore refus de soins médicaux.

De plus, 250 agriculteurs·trices ont perdu leur vie depuis le début des mobilisations le 26 novembre. Le gouvernement actuel reste obstinément opposé à l’abrogation de ces lois, car elles sont intrinsèquement liées à un programme agro-industriel mondial plus vaste. 

Les dirigeant·e·s agricoles ont appelé les agriculteurs·trices du pays à être prêt·e·s à marcher avec leurs tracteurs jusqu’à Delhi pour encercler le parlement lorsque le moment sera venu.

Mary Mathai