Contre la banalisation des violences homophobes et transphobes

Comme d’autres hommes homosexuels avant lui, Camilo Agudelo a été victime d’une agression homophobe le 5 juillet 2016 à Genève. Face à la banalisation et à l’impunité récurrente de tels actes, il est urgent de dénoncer ces violences et leur augmentation actuelle.

Cette agression  a eu lieu à la Perle du Lac, lieu bien connu pour la drague dans le milieu gay à Genève. Un seul coup, très violent, sur la tête. Malgré ses blessures, Camilo Agudelo aura eu plus de chance que la victime passée à tabac un mois plus tôt par cinq hommes et laissée inconsciente près de son véhicule. Cette fois, un des agresseurs a pu être interpellé par un agent de sécurité et Camilo n’entend pas accepter l’indifférence et la banalisation des agressions homophobes qui font de ce lieu, depuis des années, une zone de non-droit. En plus de porter plainte, il a décidé d’organiser, avec le soutien des associations LGBT genevoises, un rassemblement lumineux le 11 octobre prochain, journée internationale du Coming Out (COD).


Toutes et tous ensemble, allons dire «Non à la violence avec de la lumière», avec des lampes de poche, des bougies ou des briquets le 11 octobre à 18 h 30 devant le Musée d’Histoire des Sciences (Perle du Lac) – Camilo Aguedo

Un cas qui n’est pas isolé

Au total, ce ne sont pas moins de quatre victimes déclarées qui ont été recensées cet été à la Perle du Lac. Mais ce chiffre ne représente en rien le nombre d’agressions homophobes et transphobes à Genève. En effet, comme l’expliquait Michael Haüsermann (chargé de projet contre l’homophobie à Dialogai), porter plainte implique de « dévoiler son homosexualité lors d’un dépôt de plainte et le rapport de confiance entre la police et la communauté n’est pas évident. Il y a peu de temps, les forces de l’ordre fichaient encore les homos. Enfin, le procureur classe généralement ce type d’affaire sans véritable enquête» (Tribune de Genève, 10.03.16).

Par ailleurs, le fait que certaines personnes ne vivent pas ouvertement leur homosexualité, sont en situation irrégulière, ou subissent de fortes discriminations policières liées à leur transidentité, sont autant de facteurs personnels qui rendent parfois la décision de porter plainte impossible. En outre, la lenteur d’intervention de la police, empêchant les interpellations, ne permet souvent pas de sanctionner les agresseurs, dont le sentiment d’impunité et de toute puissance se renforce.

L’association faitière gay na­tio­nale Pink Cross dénonce une aug­men­­tation des agressions homophobes dans le pays, aussi bien envers des victimes isolées que les bars LGBT. Le 20 octobre 2015, six hommes armés et encagoulés attaquent le bar gay de Zurich Les Garçons. En avril 2016, c’est le bar LGBT genevois Le Nathan qui est la cible de deux jeunes hommes. Une enquête de l’association Dialogai effectuée entre 2002 et 2011 souligne que les hommes gays subissent quatre fois plus d’agressions que la population masculine suisse. La même étude conclue également à une tendance à la hausse des agressions homophobes.

Désinvolture policière

Camilo Agudelo met d’ailleurs en exergue la « désinvolture » de la police qui est arrivée seulement 45 minutes après l’agression et a commencé par lui demander ce qu’il allait «faire dans ce parc», question «insupportable qui implique que ce qui m’est arrivé est de ma faute». En juillet 2016, un jeune homo et son ami trans sont «agressés en pleine gare devant l’indifférence des passants et des forces de l’ordre». (Têtu, 13.07.16). Alors qu’ils pointent du doigt l’inaction des témoins et de la police, son porte-parole, Gian Andrea Rezzoli, affirme que suite à leur appel une patrouille est passée et a vu les victimes, mais que «les personnes étaient en train de téléphoner et n’avaient pas l’air d’avoir besoin d’aide».

Malheureusement, cette situation n’est pas une spécificité helvétique. Non loin de Genève, à Etrembières, Noël Mercier, ancien policier et père de Grégory Mercier, tué par balle en 2011 en se rendant sur un lieu de drague gay, dénonce aujoud’hui la lenteur et les ratés d’une enquête qui piétine. Espérons que les formations prévues en 2016 par Dialogai à Genève pour les nouveaux élèves de la police cantonale permettra une prise en compte plus professionnelle de ce type d’agressions et incitera les victimes à porter plainte.

Protection contre la discrimination

La plateforme d’informations Humanrights l’a déjà noté: l’absence d’une loi cadre permettant une protection contre la discrimination en Suisse participe largement à la vulnérabilisation des personnes LGBT. La motion parlementaire fédérale du 7 mars 2013 de Mathias Reynard tend à combler ce vide en visant à interdire l’homophobie au même titre que le racisme ou l’antisémitisme, par une modification de l’article 261 bis du code pénal pour l’étendre à la discrimination basée sur l’orientation sexuelle.

Cependant, il est incompréhensible que cette modification n’intègre pas l’identité de genre et ne protège de ce fait aucunement les personnes trans*, intersex, non bi-naires, elles aussi victimes d’agressions homophobes et transphobes. Ce alors même que la Suisse s’est engagée en 2015 à lutter contre la discrimination des personnes transgenres.

Mais changer les lois ne suffit pas à changer l’opinion publique et à prévenir les violences quotidiennes dont sont victimes les personnes LGBT. Ainsi, pour que les agressions homophobes et transphobes ne soient plus cachées mais dénoncées publiquement, Camilo Agudelo a enjoint la communauté LGBT à ne pas laisser les agresseurs occuper le terrain, à proclamer haut et fort notre oui à la différence, oui à la visibilité, non à la normalisation et non à la banalisation des agressions.

Marjorie Blanchet