Investiture de Rajoy

Investiture de Rajoy : Le PSOE enchaîné, fin d'une histoire

Le 29 octobre dernier, le chef du Parti populaire (PP) Mariano Rajoy a été reconduit à la tête du gouvernement de l’Etat espagnol. Après dix mois de blocage, c’est le Parti socialiste ouvrier espagnol qui lui a ouvert les portes du pouvoir, par l’abstention de 68 de ses député·e·s, au moment du vote de confiance. Décryptage.


Sergio Gonzalo

Mis sous pression  le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a capitulé, signant l’un des chapitres les plus honteux de sa longue histoire. Mais cette contribution à la continuité d’un parti parmi les plus corrompus d’Europe n’a pas été appuyée par la majorité de ses militants. Des manifestations l’ont contestée dans de nombreuses villes. A Madrid, à la Puerta del Sol, nous y avons dénoncé le «coup d’Etat de la mafia» et exigé, dans l’esprit du 15-Mai 2011, la « démocratie réelle ».

Les médias ont félicité le PSOE pour son grand «sens de l’Etat»: priorisant l’alliance des « forces constitutionnalistes » et bafouant l’opinion de la majorité de ses militant·e·s, l’actuelle direction putschiste a provoqué une profonde fracture interne et une rupture pratique avec le PSC (Parti socialiste de Catalogne). Le PSOE se ferme la possibilité de redevenir un parti gouvernemental à l’échelle de l’Etat espagnol: il ne peut que tenter de survivre dans les espaces institutionnels qu’il contrôle encore.

La fin de l’alternance

En effet, si le PSOE avait pu se maintenir comme parti gouvernemental, en alternance avec un PP « modernisé » depuis 1996, cette étape est terminée. Le « coup d’Etat » du 1er octobre, la renonciation à former un gouvernement avec l’appui de Unidos Podemos et l’abstention des indépendantistes catalans, indiquent clairement que le rôle de l’actuelle direction du PSOE est de préserver la stabilité du régime, en obéissant aux diktats de Bruxelles et en défendant « l’unité de l’Espagne » contre les « anti-système » de Podemos et les sécessionnistes catalans. «Maintenant, il s’agit d’effectuer un atterrissage forcé sur le terrain du principe de réalité, qui ne s’accorde pas avec le sentiment des militants les plus fervents» (Javier Fernández, El Pais, 9.10). Ce « principe de réalité » est symbolisé par la fusion d’intérêts maintenue par des dirigeants historiques du PSOE, Felipe González en tête, avec le groupe de presse Prisa et ses partenaires financiers.

Opposition de façade

Le PSOE a aussi perdu sa crédibilité comme parti d’opposition au PP. Malgré les efforts de sa nouvelle direction, il évitera difficilement la subordination à Rajoy: le président du gouvernement menacera d’organiser de nouvelles élections si le PSOE ne contribue pas à la « gouvernance ». Rajoy dispose également d’une arme pour contrer tout dépassement des limites budgétaires établies par Bruxelles, l’article 134.6 de la Constitution.

En outre, majoritaire au Sénat, le PP pourra aussi rappeler l’approbation, en août 2011, par les deux partis, d’une contre-réforme constitutionnelle imposant de donner la priorité au paiement de la dette.

Le PSOE ne peut affronter cette stratégie que par des accords avec Unidos Podemos, envers qui l’actuelle Commission de gestion a montré une hostilité manifeste, bien que plus d’un gouvernement régional dépende des votes de Unidos Podemos. Cette voie étant bloquée, il ne sera pas facile au PSOE de trouver une marge suffisante pour contrer l’énorme opprobre soufferte durant ce dernier mois, malgré l’énorme appui médiatique et institutionnel sur lequel il pourra compter. Il ne semble pas que les efforts de Pedro Sánchez – qui a récemment renoncé à son poste de député – ou Josep Borrell pour se présenter en alternative capable de relancer le PSOE comme opposition au PP pourront s’imposer contre la nomenclature dirigée par Susana Diaz, que cette dernière soit ou non candidate à la direction.

Nouvelle donne

Un cycle historique de la social-démocratie se termine: elle est impuissante à appliquer des politiques social-libérales, face à un capitalisme européen menant un cours accéléré de contre-­réformes incompatibles avec la démocratie, l’universalisation des droits sociaux et avec le maintien de la vie sur la planète. Le débat sur les coupes budgétaires (5,5 milliards d’euros) et la privatisation de Bankia et de Banco Mare Nostrum (BNM), exigée par Bruxelles est ouvert. Rajoy demandera aussi de soutenir l’opposition du gouvernement au référendum sur l’indépendance, revendiqué par la majorité de la société catalane. Après la rupture avec le PSC, la direction du PSOE résistera difficilement à l’alignement aux positions gouvernementales, au nom d’un « national-constitutionnalisme » dont elle ne peut attendre que quelques promesses sur la révision du financement des communautés autonomes.

Pour Unidos Podemos, le défi est énorme: exercer le rôle d’opposition parlementaire et contribuer à ouvrir un nouveau cycle de protestations. Nous sommes confrontés à une crise de gouvernance, mais aussi à une crise de régime.

Le dilemme est le suivant: continuité ou Changement, avec une majuscule, c’est-à-dire rupture démocratique. Tant que nous ne résoudrons pas ce dilemme, subsistera l’hypothèse que quelqu’un « d’en haut » rappelle la formule d’un célèbre conservateur, Edmund Burke: «Un Etat sans moyens pour réaliser un quelconque changement, manque aussi de moyens pour se conserver». Alors, apparaîtront des réponses supposées « de régénération », auxquelles il faudra aussi répondre et qu’il faudra savoir dépasser.

Jaime Pastor

Professeur de science politique à l’UNED et éditeur de la revue Viento Sur. Adaptation (d’après une première traduction de l’espagnol effectuée par alencontre.org): Hans-Peter Renk