Mise en oeuvre du 9 février

Mise en oeuvre du 9 février : Sauvegarder les intérêts des patrons sur le dos des salariés?

Les Chambres fédérales sont sur le point d’accoucher d’un compromis pour la mise en œuvre de l’initiative du 9 février 2014 « Contre l’immigration de masse ». En cas d’acceptation, les employeurs·euses seraient obligés d’annoncer aux Offices régionaux de placement (ORP) les places vacantes dans les secteurs d’activité où le chômage est «très supérieur» à la moyenne. A l’exception de l’UDC et, dans une moindre mesure, du PDC, le principe d’une « préférence indigène light » réunit le soutien de tous les principaux partis. Saluée par l’Union syndicale suisse (USS), cette solution servira pourtant d’abord les intérêts du patronat grâce au maintien des accords bilatéraux. Elle renforcera également le rôle de l’Etat comme machine à générer du dumping salarial au détriment des travailleuses et des travailleurs. Afin de mieux cerner les enjeux et d’envisager des réponses alternatives en faveur de la défense des droits de toutes et tous les salarié·e·s, notre rédaction s’est entretenue avec Joël Varone, syndicaliste Unia

John Starnes

La propagande xénophobe martelée depuis des années, notamment par l’UDC, a déplacé le débat politique à droite, à tel point que les centrales syndicales et le PSS se rallient aujourd’hui à l’idée social-­chauvine d’une « préférence indigène ». Comment l’expliques-tu?

Joël Varone: On ne peut sérieusement s’opposer aux initiatives xénophobes de l’UDC et de ses avatars régionaux comme le MCG ou la Lega en faisant l’impasse d’un bilan du compromis effectué par les syndicats et les partis de gauche entre les mesures d’accompagnement d’un côté et les accords bilatéraux de l’autres.

Si aujourd’hui les syndicats se retrouvent largement exclus du débat politique (qui parle encore aujourd’hui de renforcer les droits des salarié·e·s?), c’est en grande partie parce que les mesures d’accompagnement n’ont permis que marginalement d’atténuer une libéralisation du marché du travail dopée par les accords bilatéraux. C’est non seulement la crédibilité des structures syndicales qui a été brisée au cours des quinze dernières années, mais ce sont les idées même du syndicalisme qui ont été sapées. Le soutien acritique à la « voie bilatérale » a fait le lit des forces populistes qui ont pu dérouler leur supercherie tendant à faire croire que les responsables des licenciements, des pressions sur les salaires, etc., ne sont pas les patron·ne·s mais les collègues étrangers·ères et/ou frontaliers·ères.

Quelles sont les conséquences des accords bilatéraux pour les salarié·e·s?

L’accord bilatéral sur les marchés publics ou celui sur le trafic aérien sont des accords de libéralisation du marché encourageant la pression sur les salaires au travers de la mise en concurrence des entreprises à l’échelle européenne sur le critère prépondérant du prix. Quant à l’accord de « libre » circulation des personnes, son titre est trompeur. C’est un accord de libre exploitation des travailleurs·euses à l’échelle européenne, rien d’autre. S’il constitue toutefois une amélioration des conditions de séjour de nombreux·euses collègues européens, on peut s’interroger sur les différences de conditions d’exploitation entre les saisonniers·ères de l’époque et les travailleurs·euses détachés ou au bénéfice de permis de courte durée d’aujourd’hui, bien plus nombreux·euses.

Quelle alternative vois-tu pour répondre aux pressions subies par les salarié·e·s?

Le mouvement syndical est à un moment charnière. Il a l’obligation, s’il ne veut pas sombrer, de retrouver une boussole et de retourner vers sa base avec un programme offensif répondant tant aux initiatives xénophobes qu’aux attaques patronales. Le soutien aux initiatives de type RASA (visant à annuler le vote sur l’immigration de masse), les alliances contre nature avec des milieux patronaux pour sauvegarder les bilatérales, ou encore le récent acquiescement au principe de préférence indigène sont autant d’impasses niant le principe même du syndicalisme: la défense inconditionnelle des travailleurs·euses en tant que classe sociale particulière ayant ses intérêts propres. Il s’agira aussi de ne pas séparer nos oppositions aux initiatives xénophobes de nos combats contre la réforme de l’imposition des entreprise ou encore contre le plan de prévoyance 2020.

Concrètement, que pouvons-­nous opposer aux différentes initiatives cantonales de l’UDC, du MCG ou encore de la Lega, visant à étendre partout le principe de la préférence « indigène »?

Il conviendra de les combattre frontalement et avec vigueur en menant les débats qui s’imposent dans les entreprises: les responsables du chômage ou de la baisse des salaires ne sont pas les frontaliersères ou les étranger·e·s mais les patron·ne·s. On ne peut sérieusement lutter contre les abus patronaux sans plus de protection contre les licenciements. Il serait par exemple possible que l’Etat et toutes les entreprises publiques refusent tous mandats et prestations aux entreprises qui ne respecteraient pas le droit du travail. Il serait aussi possible de rendre obligatoire tout nouvel engagement et tout licenciement avec annonce des salaires pour mieux détecter les cas de sous-enchère salariale… Parallèlement, il faut susciter des mobilisations contre ces initiatives, dans les quartiers, dans les entreprises, dans la rue.

Ces partis prétendent défendre les chômeurs·euses, un discours auquel sont sensibles la gauche et les syndicats…

Dans la réalité, les effets de la préférence indigène se retourneront contre les chômeurs·euses! La pression exercée sur ces derniers·ères pour accepter des emplois non convenables va s’intensifier. Au final, cette forme de dumping salarial organisé par l’Etat entraîne une dégradation des conditions de travail pour tou·te·s les salarié·e·s. D’autre part, l’obligation d’annoncer les postes vacants n’empêchera jamais un·e employeur·euse de licencier pour engager quelqu’un d’autre meilleur marché, qu’il provienne d’un Office régional de placement ou non. On ne résoudra pas le problème sans s’attaquer aux politiques patronales de pression sur les salaires.