Lectures d'été
Et puis
Natsume Sôseki, est lune des principales figures du roman réaliste japonais moderne. Né en 1867 à Tokyo, il y décède en 1916. Sa vie et son uvre sont profondément influencées par les bouleversements de lère Meiji (1868-1912), qui marque lindustrialisation du Japon et son passage de la féodalité à la modernité. Sôseki écrit sa fameuse trilogie «Sanshirô» (1908), «Sorekara» («Et puis», 1909) et «Mon» («La porte», 1910), qui traite des transfigurations que connaît la société japonaise au début du XXème siècle, où les anciennes valeurs des samouraïs sont confrontées à lémergence du capitalisme et de la «modernité occidentale».
Daisuké, dandy célibataire dune trentaine dannées, entretenu par sa riche famille, mène une vie oisive faite de préoccupations spirituelles et esthétiques et na de cesse de repousser les injonctions de son père qui voudrait le voir travailler et enfin se marier. Daisuké se complait dans son monde isolé jusquau jour où il recroise Michiyo, amour du passé, jamais consommé et, à sa grande surprise, encore profondément vivant Les sentiments de Daisuké à légard de Michiyo, qui sest entre-temps mariée, vont complètement bouleverser sa vie et le pousser à agir, à prendre en main sa destinée. Cela se fera au prix dune rupture avec son père et les valeurs de la société japonaise. Cet amour incertain est la voie de laffirmation de son indépendance, mais la démarche est risquée et ne sera pas sans conséquences «Et puis», est un roman où la lenteur domine, où le lecteur est plongé dans une atmosphère étrange, hors du temps, faite de douceur et de délicatesse. (eg)
Natsume Sôseki, Et puis, Le Serpent à plumes, 2003, 399 p.
Pour le communisme libertaire
Réédition revue et complétée de «A la recherche dun communisme libertaire» (Spartacus, 1984), «Pour un communisme libertaire» regroupe une série darticles de Daniel Guérin, publiés entre 1950 et 1980.
Dabord séduit par le marxisme, Guérin épouse ensuite une pensée anarchiste «classique». En témoignent des textes tels que «Jeunesse du socialisme libertaire» (1959) ou le célèbre «Ni dieu ni maître, anthologie de lanarchisme» (1965, réédition: La Découverte, 1999). En 1969, avec «Pour un marxisme libertaire», il entreprend une synthèse entre les deux grands courants nés de lAssociation Internationale des Travailleurs.
Parmi les différents textes du recueil édité aujourdhui par «Les Amis de Spartacus», Daniel Guérin revient sur les tensions qua connues lAIT, traite de la question chère à Rosa Luxemburg, «Spontanéité et conscience», critique la vision du centralisme et du socialisme par «en haut» et aborde un pan essentiel du mouvement ouvrier: le syndicalisme révolutionnaire.
La démarche de Daniel Guérin revêt aujourdhui, sans conteste, une pertinence toute particulière et mérite dêtre redécouverte. (eg)
Daniel Guérin, Pour le communisme libertaire, Spartacus, 2003, 186 p.
Des syndicats domestiqués Répression patronale et résistance syndicale aux Etats-Unis
Si lidéologie néo-libérale a pu se développer comme elle la fait aux Etats-Unis, se serait, pour grande part, du fait de lextraordinaire faiblesse du mouvement syndical dans ce pays. Cette thèse, loin dêtre absurde, est le point de départ de lanalyse des deux sociologues Rick Fantasia et Kim Voss.
Une des caractéristiques de léconomie états-unienne est lextrême précarité de masses de travailleuses et de travailleurs sans statuts, notamment dans le secteur des services. La présence massive, dans ces secteurs, de femmes et dimmigrés montre à quel point le capitalisme se nourrit abusivement de et accentue loppression des minorités.
Lextraordinaire faiblesse, pour ne par dire labsence, des syndicats dans ces secteurs, sclérosés par une organisation bureaucratique et une stratégie purement gestionnaire, a longtemps maintenu ces masses de travailleuses et de travailleurs sans aucune protection, notamment sous le prétexte déjà évoqué au début du XXème siècle par lAFL quil serait impossible dorganiser les immigrés Il y a plus de 100 ans, se sont les Wobblies qui ont paré à linaction des grandes centrales syndicales. Et si lIWW et le syndicalisme révolutionnaire ont, depuis longtemps, perdu lessentiel de linfluence quils avaient, il nen demeure pas moins que les luttes menées, notamment dans le sud des Etats-Unis, restent aujourdhui emblématiques. Depuis près de dix ans, on assiste à un renouveau de laction syndicale, non plus corporatiste, mais de contestation sociale. Et cest précisément dans les milieux des travailleuses et de travailleurs immigrés que les luttes ont été les plus porteuses despoirs et quelles ont débouché sur des victoires significatives. Cest sur cette nouvelle dynamique que Rick Fantasia et Kim Voss apportent un éclairage saisissant. (eg)
Rick Fantasia, Kim Voss, Des syndicats domestiqués Répression patronale et résistance syndicale aux Etats-Unis, Raison dAgir, 2003, 175 p.
Sozaboy
Le 10 novembre 1995, après une parodie de procès, Ken Saro Wiwa était pendu à Port-Harcourt, capitale de lEtat de Rivers, dans le sud du Nigeria. Officiellement condamné pour meurtre, il a, avec huit de ses compagnons, payé de sa vie son engagement au sein du Mouvement pour la Survie du Peuple Ogoni (MOSOP) qui dénonçait les activités des compagnies pétrolières qui, à linstar de Shell, pompent avidement les ressources souterraines du delta du Niger. Durant ses deux années de détention, Ken Saro Wiwa a écrit son livre tristement célèbre «Si je suis encore en vie » (Stock, 1996), mais son uvre littéraire commence à peine à être accessible en français. Dabord édité par Acte Sud en 1998, «Sozaboy» est maintenant disponible au format poche dans la collection Babel.
Ce roman, écrit en 1985, retrace la vie de Mené, jeune apprenti chauffeur à Doukala, un petit village du Biafra. Alors quil sapprête à passer son permis camion, il rencontre la belle Agnès, qui vient de quitter Lagos pour retourner dans son village natal auprès de sa mère. Alors que le Nigeria connaît les premiers troubles de la guerre civile qui le ravagera de 1967 à 1970, Mené est bouleversé par une petite phrase quAgnès lui murmure à loreille: «Quand malheur arrive, jaime lhomme fort et brave qui peut combattre et me défendre.» Il nen faudra pas plus Par amour pour Agnès, dans lespoir de pouvoir un jour devenir son mari, Mené choisi la voie de luniforme Cest le début de lenfer. (eg)
Ken Saro Wiwa, Sozaboy, Acte Sud/Babel, 2003, 310 p.
Genre, classes, ethnies: identités, différences, égalités
Comme à son habitude, la revue ContreTemps, nous livre un recueil darticles de très bonne facture, cette fois sur les questions doppressions spécifiques, notamment de genre, sexuelles ou ethniques. Les diverses contributions posent opportunément et de manière approfondie les questions des identités collectives de groupes spécifiques et comment ceux-ci articulent leurs revendications et leurs stratégies démancipation. On retrouve le vieux débat sur la hiérarchisation des dominations, avec laffirmation, précisément, quil serait vain de chercher à classer des oppressions au caractère forcément subjectif. Dès lors, il sagit plutôt de comprendre comment lensemble des sujétions et des discriminations se nourrissent et se renforcent les unes des autres. La démarche, si elle nest pas nouvelle, reste néanmoins utile et permet de sortir dune vision par trop étriquée ou binaire des questions identitaires. (eg)
ContreTemps n°7, Genre, classes, ethnies: identités, différences, égalités, Textuel, mai 2003, 198 p.
Pouvoir et terreur
Après «11/9, Autopsie des terrorismes» (Le serpent à plumes, 2002), Noam Chomsky revient sur la question des terrorismes, quils soient le fait de fanatiques religieux dispersés de par le monde et ralliés sous la bannière dAl Quaïda, ou celui dautres fanatiques religieux installés aux commandes de la première puissance mondiale. Basé sur un entretien réalisé à loccasion de la sortie du film «Power and Terror» et sur une série de conférences, ce nouveau recueil de Noam Chomsky est une vive remise en cause de lextraordinaire hypocrisie des USA qui, derrière un discours prétendument «moral», perpétuent une tradition impérialiste sans retenue ni remords. (eg)
Noam Chomsky, Pouvoir et terreur, Le serpent à plumes, 2003, 149 p.
Le Tropique et le Nord
On connaît Victor Serge pour ses textes politiques et historiques, tels «LAn I de la révolution russe», «Le tournant obscur», «Notes dAllemagne» ou «Mémoires dun révolutionnaire», mais beaucoup moins pour ses uvres littéraires. On peut donc se réjouir que le recueil de nouvelles «Le Tropique et le Nord» ait été réédité par La Découverte.
Lente remontée dans le temps, de lobscurité de la Seconde guerre mondiale à lhorreur des débuts du stalinisme, ces nouvelles témoignent dun réalisme amer, non dénué cependant de lespoir de voir les femmes et les hommes de ce monde, un jour, ne plus être broyés par lhistoire. (eg)
Victor Serge, Le Tropique et Le Nord, La Découverte, 2003, 168 p.
Mali Blues
Espoirs et désillusions dun peuple, joies et tristesses dun homme, voilà ce que reflète Boubacar «Kar Kar» Traoré, lun des pionniers de la musique malienne moderne. Après une longue absence, il revient au devant de la scène et sort notamment «Sa Golo», un disque époustouflant par sa beauté et lintensité de ses complaintes blues. Cest une rencontre à Bamako avec Kar Kar qui est au centre du recueil «Mali Blues» de Lieve Joris. Entre récit de voyage et dialogue, «Mali Blues» est un texte saisissant où, peu à peu, dans une atmosphère chaleureuse, tant la voyageuse que le chanteur souvrent et se livrent. Loccasion den savoir un peu plus sur la personnalité touchante de Boubacar Traoré. (eg)
Lieve Joris, Mali Blues, Acte Sud/Babel, 2002, 345 p.