Initiative sur l'immigration de masse
Initiative sur l'immigration de masse : Le PLR à la baguette
Au basket, on appelle ce joueur le meneur. Ce n’est pas le plus grand ni le plus lourd, mais il oriente le jeu. C’est la place prise par le Parti libéral radical (PLR), qui sauvegarde ainsi son rôle central dans la politique du capitalisme suisse, malgré la contestation de sa domination par l’Union démocratique du centre (UDC). Le débat sur l’application de l’initiative sur l’immigration de masse l’a bien mis en lumière.
PLR
Le PLR n’est plus, depuis longtemps, la première force au Conseil national (32 conseillers et conseillères contre 65 à l’UDC). En revanche, il est mieux représenté au Conseil des Etats (13 contre 5). C’est donc en passant par cette Chambre, par l’intermédiaire de son ancien président Philipp Müller, qu’il a réussi à imposer sa solution.
Sauf que, pour que le Conseil national se rallie au choix du Conseil des Etats, il fallait obtenir l’appui du Parti socialiste (PS), des Verts, des Verts libéraux, du Parti bourgeois démocratique (PBD), ce qui fut fait. Le Parti démocrate-chrétien (PDC), dont le modèle n’avait pas été retenu, se réfugia dans l’abstention, alors que l’UDC votait contre le projet. Selon les thèmes, le PLR est donc capable de passer d’une politique d’alliance avec l’UDC et le PDC, dite du «Schulterschluss», à une alliance avec le PS lorsqu’il en va de la politique migratoire et européenne.
Il ne fait pas de doute que cette capacité à changer de jeu et de rythme correspond aux souhaits du patronat suisse. Présentant sur son site sa position sur le projet relatif à l’immigration, economiesuisse ne cachait pas son soutien à la proposition Müller, expliquant que: «economiesuisse soutient une mise en œuvre de l’initiative ‹ Contre l’immigration de masse › dans le délai imparti, tenant compte des besoins de l’économie compatible avec les accords bilatéraux avec l’UE et prenant en compte les flux migratoires. Cela doit permettre en particulier la ratification du protocole relatif à la Croatie d’ici à la fin de l’année et le renouvellement de l’association pleine et entière à Horizon 2020. Cela dit, il faut également tenir compte de l’objectif fixé dans l’art. 121 a Cst.»
La hiérarchie établie par le patronat suisse est extraordinairement parlante: d’abord les accords bilatéraux, puis les flux migratoires, suivi de l’élargissement à la Croatie et le renouvellement de l’association au programme européen de recherche et d’innovation Horizon 2020. Et enfin, en dernière position et à reculons, la modification de la gestion de l’immigration apportée par l’initiative de l’UDC. Une question de détail, en quelque sorte.
D’un préavis favorable à l’opposition frontale?
On est donc passé d’un article constitutionnel réintroduisant le contingentement de l’immigration à une mesure prévoyant simplement que lorsque des groupes professionnels connaissent un taux de chômage supérieur à la moyenne, les places à repourvoir soient annoncées aux Offices régionaux de placement (ORP) et qu’ensuite les patrons soient obligés de convoquer les candidat·e·s «appropriés» suggérés par les ORP.
Cette amputation de la portée de l’initiative a évidemment entraîné les foudres de l’UDC lors du débat final. Le chef du groupe parlementaire de l’UDC n’a pas hésité à accuser ses adversaires de haute trahison! En retour, le président du groupe parlementaire PLR, Ignazio Cassis, a accusé l’UDC d’avoir trompé le peuple, en n’expliquant pas que son initiative impliquait la rupture des bilatérales. Ambiance à droite…
On a entendu dire que la victoire du 9 février 2014 avait plus embarrassé l’UDC qu’autre chose, sa stratégie étant plutôt de faire pression par un score honorable. Un document révélé par la SonntagsZeitung du 18 décembre 2016 montre en tout cas que Christophe Blocher était prêt au compromis. Il s’agit du procès-verbal d’une réunion d’un groupe de travail entre les patrons et les partis bourgeois, tenue le 17 mars, après une autre rencontre le 5 février. Cette réunion, à laquelle Christophe Blocher participait, avait abouti à une solution très proche de celle de Philipp Müller, également présent. Selon le procès-verbal cité par le journal dominical, Blocher se serait déclaré d’accord avec cette proposition, rejetant toute inscription de chiffres maximaux et de contingentement général dans la loi. Il aurait aussi annoncé que l’UDC ne lancerait pas le référendum contre une proposition façon Müller.
Ce parti a en effet annoncé qu’il ne recourrait pas au référendum contre le résultat du débat aux Chambres sur l’application de son initiative. Son président, Albert Rösti expliquant que son aboutissement ne déboucherait sur rien de concret: «Croyez-vous sérieusement que le même parlement et le même Conseil fédéral adopteraient une mise en œuvre plus sévère [de l’initiative, réd.] après une victoire du référendum?» (NZZ, 17.12.2017). Non sans accuser au passage le PLR de dériver à gauche… En septembre de cette année, Christophe Blocher avait déjà dit que l’UDC renoncerait au référendum, tout en caractérisant le PLR de «parti de poltrons».
L’initiative de l’ASIN
Si l’UDC n’a pas bougé, l’ASIN (Association pour une Suisse neutre et indépendante) a déclaré vouloir lancer une initiative pour dénoncer l’accord sur la libre circulation avec Bruxelles et donc les bilatérales. Difficile de savoir de quelle autonomie ce pseudopode de l’aile droite de l’UDC dispose. Ses référendums et initiatives n’ont pas toujours abouti. Et l’UDC est elle-même à la peine avec son référendum sur la politique énergétique. Il pourrait donc s’agir d’un moyen pour maintenir la pression jusqu’en février, date à laquelle le Conseil fédéral doit présenter son texte définitif de mise en œuvre de l’initiative.
Daniel Süri