La Suisse paradis des millionnaires

Selon The Wealth Report (2015) de la société britannique Knight Frank, publié en mars dernier, la Suisse compterait 346 000 millionnaires et 6362 multimillionnaires (+ de 30 millions de francs), dont environ 830 à Genève et 700 à Zurich.

De son côté, la dernière liste des «300 plus riches de Suisse» (Bilan, décembre 2016), dont la fortune dépasse les 100 millions de francs, évalue leurs avoirs cumulés à 580 milliards. 25,8 % d’entre eux résident à Genève, 18 % dans le canton de Vaud, 6,4 % à Zurich, 5,5 % à Berne, 5,1 % dans les Grisons et 5 % à Bâle-Ville. Dans ce palmarès, les forfaits fiscaux jouent un rôle important. Selon Gabriel Zucman (La richesse cachée des nations, Paris, Seuil, 2013), la moitié des 350 milliards d’euros détenus offshore par les Français les plus riches sont dissimulés en Suisse.

Genève en pointe

En faisant un zoom sur le canton de Genève, sans tenir compte des forfait fiscaux, de 2003 à 2013, le nombre de millionnaires y a crû de 5 % par an, passant de 18 102 à 29 300, alors que leurs fortunes cumulées augmentaient de 5,5 % par an, de 6612 millions à 11 307 millions (mes calculs d’après les données de l’Office cantonal de statistique).

A Genève encore, alors que le Conseil d’Etat in corpore (PLR, PDC, MCG, Verts et PSG) défend des modalités d’application de la Troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE 3) particulièrement rétrogrades (baisse du taux de 24,2 % à 13,5 %), 1 % des personnes morales réalisent des bénéfices déclarés, tandis que 61 % d’entre elles ne déclarent aucun bénéfice imposable!

Dans ce même canton, l’enregistrement de dénonciations spontanées par l’Administration fiscale a explosé au cours de ces dernières années, en raison de l’échange automatique de renseignements entre 52 Etats, qui devrait être effectif dès septembre 2018, mais aussi de l’éclatement de scandales comme celui des Panama Papers. Elles devraient se monter à près de 2 milliards de francs pour 2016! On attend de voir toutefois si le fisc dénoncera effectivement au Ministère public cantonal ou fédéral, comme il y est tenu depuis cette année, les soupçons de blanchiment d’argent pour les impôts soustraits dépassant 300 000 francs.

Le secret bancaire n’est pas mort

On sait que le Conseil fédéral a refusé d’unifier le droit pénal fiscal en étendant la levée du secret bancaire aux citoyen·ne·s suisses. Les cantons ne seront donc pas autorisés à accéder aux données bancaires des Helvètes soupçonnés de dissimuler des revenus aux autorités. Pourtant, l’initiative populaire de la droite dure «Oui à la protection de la sphère privée», que la majorité du Conseil National vient d’approuver, ainsi qu’un contre-projet à peine plus modéré, va plus loin encore, en proposant de maintenir le secret bancaire pour les client·e·s étrangers résidant en Suisse.

Dans tous les cas, les banques ont trouvé la parade à la mise en cause du secret bancaire pour leurs client·e·s étrangers, avec l’aide de grandes études d’avocats spécialisées dans «l’optimisation fiscale». Et la Suisse est particulièrement compétitive sur ce plan (place financière sophistiquée, culture du secret des affaires, autorités peu regardantes, etc.). Ainsi, en 2013, 63 % des 2000 milliards d’euros d’avoirs étrangers gérés en Suisse l’étaient par des trusts, des holdings et d’autres sociétés écrans, recourant à des montages complexes (voir Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Tentative d’évasion (fiscale), Paris, Découverte, 2015).

Jean Batou