La Maraude
La Maraude : Portrait d'un nouveau collectif d'aide aux personnes précarisées
L’équipe Maraude Lausanne est un groupe de citoyen·ne·s qui «a pour but de rendre la vie dans la rue un peu moins difficile en apportant nourriture, vêtements, biens de première nécessité.» Témoignage d’un élan de solidarité nécessaire, de telles initiatives étant très utiles pour faire face à l’urgence de la grande précarité. Toutefois, l’aide humanitaire ne peut résoudre à elle seule les problèmes de pauvreté. La Maraude, par son existence même, pointe du doigt les grandes limites des politiques sociales de la Ville de Lausanne et du Canton de Vaud. Autrement dit, l’existence même de ce groupe citoyen met en lumière un problème de fond.
S’il y a aujourd’hui environ 80 personnes qui dorment dehors chaque soir à Lausanne, c’est qu’il n’y a pas de structures d’hébergements en suffisance. Pourtant, la Constitution fédérale établit l’aide minimale en situation de détresse comme droit fondamental dont bénéficie tout individu, indépendamment de son statut de séjour. Le « droit au toit » est aussi garanti par la Constitution vaudoise. A l’inverse, la politique cantonale tend à précariser encore davantage les plus démuni·e·s à travers des lois criminalisantes, telles les amendes allant jusqu’à 200 francs pour avoir dormi dehors, ou l’interdiction de la mendicité votée récemment par le Grand Conseil grâce à l’abstention, et même au soutien, d’une partie des voies de la gauche gouvernementale.
Une lutte efficace contre la précarité doit aussi passer par une modification de la Loi sur les étrangers et par la suppression de la clause qui stipule qu’un migrant·e « ne peut être admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative que s’il est démontré qu’aucun travailleur en Suisse ni aucun ressortissant d’un Etat avec lequel a été conclu un accord sur la libre circulation des personnes correspondant au profil requis n’a pu être trouvé. » Cette Loi empêche certaines personnes migrantes d’obtenir un travail et d’accéder à des conditions de vie plus dignes.
Cette précarité extrême renvoie à des problématiques plus larges, auxquelles il faut se confronter: répartition des richesses, couverture sociale intégrale, insertion professionnelle ou encore permis de séjour. Mais à court terme, il s’agit bien d’agir sur la politique en matière d’hébergement d’urgence.
Cinq questions à Chris Roy, co-fondateur de la Maraude
La Maraude, c’est quoi?
La Maraude est un groupe informel qui, tous les soirs, vient en aide aux personnes précarisées vivant dans la rue. Une aide faite de nourriture, de boissons, de vêtements, de sacs de couchage mais qui peut aller au-delà, avec l’orientation des personnes précarisées vers des services médicaux, psychologiques ou sociaux. Parmi les maraudeurs·euses, on compte aussi des médecins, psychologues, assistant·e·s sociaux. Il ne s’agit pas de se substituer aux structures existantes, mais plutôt de combler les lacunes de celles-ci.
Nous sommes un collectif citoyen indépendant et c’est très important de le rester. Je ne veux pas devoir rendre des comptes à l’institution sur laquelle j’ai un regard critique. C’est un débat de fond que nous avons actuellement avec les autres maraudeurs·euses.
Depuis quand le collectif existe-t-il?
La première maraude s’est déroulée le 11 avril 2016 et nous en avons fait environ 200 depuis. L’idée m’est venue après avoir participé à un convoi humanitaire à Paris. Je me suis dit: « On va aider des gens à Paris mais à Lausanne aussi il y a des gens dans la rue. » Nous étions quatre au départ, à peu près quarante au mois de juin, septante en septembre et cela ne fait que croître. L’aide proposée ne se limite pas à la distribution de nourriture et de matériel. Par exemple, certain.e.s maraudeurs·euses et des sympatisant·e·s de la Maraude accueillent des sans-abris pour une ou plusieurs nuits.
Combien de bénévoles sont engagés à la Maraude. De qui s’agit-il?
Entre les maraudeurs·euses en charge de la logistique et ceux-celles sur le terrain, on est plus d’une centaine. On a des personnes de tout milieu social, de toute origine, de différents bords politiques, de différents cantons et même de France voisine. Il y a des chef·fe·s d’entreprise, des médecins, des assistant·e·s sociaux, des étudiant·e·s, des ouvriers·ères, des SDF, des fonctionnaires et même des attaché·e·s d’ambassade! Par contre, c’est majoritairement des femmes.
Quelles sont les catégories de personnes que vous aidez et qui vivent dans la rue?
Des toxicomanes, des marginaux, des migrants sans-papiers, des Roms, mais aussi des citoyen·ne·s « lambda » qui se sont retrouvés subitement dans la précarité. En grande majorité des hommes, de tout âge. Les gens qui viennent à nous sont essentiellement des personnes en marge des structures d’aides. On recense environ 80 personnes qui dorment dehors tous les soirs et c’est principalement ces personnes que l’on aide.
Quels sont vos buts à moyen et long terme?
Nous voulons continuer d’aider les personnes à la rue, et créer des liens avec le reste de la population. Des sans-abris nous ont rejoint pour participer à nos maraudes. C’est quelque chose de très positif. Pour eux d’abord, car cela leur donne un statut et une reconnaissance. Pour la Maraude ensuite, parce que les personnes concernées connaissent mieux que nous la situation de celles et ceux que nous aidons. Nous voulons aussi rendre visible la précarité, pour faire changer le regard de la société sur les personnes qui sont à la rue. Faire en sorte que ces gens ne soient plus discriminés, craints, méprisés. Par exemple, en partie grâce à la médiatisation de la maraude, le 24 Heures a fait un article sur deux personnes vivant à la rue. La rédaction du journal leur a donné un appareil photo jetable pour qu’ils photographient leur quotidien.
Propos recueillis pour solidaritéS par
Olaya Soto
Site de la Maraude: maraudelausanne.wordpress.com