L'élection de Macron et la recomposition politique à l'oeuvre

L’élection présidentielle française constitue un tournant dans l’histoire politique, et peut-être même institutionnelle, française. Au-delà des rebondissements inattendus – la décision du Parti Socialiste d’organiser une primaire pour choisir son candidat malgré le fait que le président sortant soit issu de ses rangs, le renoncement de François Hollande à s’y présenter, la défaite cinglante du représentant du quinquennat Manuel Valls lors de cette primaire, la défaite surprise d’Alain Juppé à la primaire de la droite et l’effondrement de la candidature de François Fillon – le fait le plus marquant est sans aucun doute que pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, les deux candidats qui se sont affrontés au deuxième tour n’étaient soutenus par aucun des deux grands partis qui ont assuré l’alternance depuis bientôt soixante ans, à savoir le Parti socialiste et la dernière mouture de la droite issue de la tradition gaulliste, Les Républicains.

Si la percée de Marine Le Pen prolonge une tendance de long terme qui a vu le Front National gagner des parts substantielles du marché électoral depuis 1986 et que son audience accrue peut être rapprochée de phénomènes électoraux récents comme la victoire de Donald Trump et du Brexit, le cas Macron constitue sans conteste une particularité qui demande à être analysée de plus près.

En effet, voici un candidat novice en politique – il n’est connu du grand public que depuis septembre 2014 – s’appuyant sur un mouvement vieux d’à peine un an qui a emporté le scrutin haut la main. Ce succès doit aussi être expliqué par l’écho que rencontre son projet politique auprès des élites politiques, administratives et économiques et l’élan que cet écho a généré en faveur de sa candidature. Le traitement que lui ont réservé les grands titres de la presse hebdomadaire ou les grandes chaînes en continu suffit pour montrer que Macron bénéficie de solides points d’appuis au cœur du pouvoir.

Il s’agit donc de se poser la question de savoir si le projet de Macron ne cristallise pas le choix stratégique d’une grande partie de la classe dirigeante française d’opérer une mutation dans le fonctionnement du système politico-institutionnel de la Ve République afin de mieux préserver sa capacité à dicter les choix législatifs et gouvernementaux dans la période qui vient

Mais avant de montrer comment le projet porté par Macron correspond à l’idée d’un gouvernement d’union nationale «rassemblant la droite de la gauche et la gauche de la droite» pour faire les réformes préconisées depuis deux décennies par les élites françaises, idée qui revient régulièrement depuis une dizaine d’années et l’immobilisme des années Chirac, il est utile de commencer par une analyse prosopographique de l’individu, riche en enseignements sur les forces sociales sur lesquelles s’appuie sa démarche.

Macron, le candidat au parcours typique du personnel dominant les sommets du pouvoir en France

Macron appartient au premier cercle de la classe dirigeante française, ayant réalisé le parcours le plus typique menant aux sommets du pouvoir en France. Diplômé de Sciences Po Paris en 2001, il réussit le concours de l’ENA dont il est classé parmi les premiers du classement de sortie en 2004, ce qui lui permet d’intégrer le corps de l’Inspection générale des finances.

L’IgF constitue, avec le corps des Mines qui réunit les ingénieurs de l’Ecole Polytechniaue majors de leurs promotions, l’un des deux plus puissants grands corps de l’Etat. Les hauts fonctionnaires, cette «noblesse d’Etat» selon le terme de Pierre Bourdieu, constituent en effet la colonne vertébrale de la classe dirigeante française depuis les années 1950, dominant aussi bien les sommets des hiérarchies administratives que ceux des grandes entreprises du pays après avoir «pantouflé» du public au privé.

L’igF ne recrute que cinq ou six énarques chaque année qui sont destinés à dominer les sommets de certaines des plus importantes hiérarchies du pouvoir: cabinets du Président de la République, du premier ministre et du ministre des finances, directions du Trésor et du Budget, présidence de la Banque de France et de l’Autorité des Marchés Financiers côté étatique ; conseils d’administration du CAC40 et directions générales des grandes banques et assurances en particulier côté économique.

La diversité des sensibilités politiques existe au sein de l’IgF: elle va précisément de la droite de la gauche à la gauche de la droite. Mais cette diversité n’a de conséquences principalement que sur les opinions des inspecteurs sur les questions de société. On peut donc départager les conservateurs (comme Henri de Castries par exemple, ancien PDG d’Axa à qui François Fillon a promis le ministère des finances, catholique pratiquant opposé au mariage pour tous) des progressistes de sensibilité pour la plupart chrétienne de gauche dans la veine d’un Pascal Lamy (ancien commissaire européen et président de l’OMC).

Sur les questions de politique économique, c’est surtout le consensus qui prévaut. Les inspecteurs des finances ont été les concepteurs et artisans des grandes réformes économiques des trente dernières années: libéralisation financière du début des années 1980, privatisations orchestrées de très près par le ministère des finances pour préserver le contrôle français sur les fleurons du CAC40, politique macroéconomique du franc fort, allégements successifs des cotisations patronales sur les petits salaires pour favoriser l’emploi non-qualifié et ainsi de suite. Ils comptent également parmi les principaux partisans de la réduction de la dépense publique et de la maîtrise de la dette publique, une thématique qui s’est imposée dans le débat public suite au rapport présenté par Michel Pébereau (lui aussi inspecteur des finances et directeur général puis président de BNP-­Paribas et le banquier le plus puissant de France dans les années 2000) en 2006.

Macron appartient à la tendance progressiste de l’inspection. Il a été membre du groupe des Gracques, ce collectif de hauts fonctionnaires et de patrons proches de l’aile droite du PS qui prône depuis sa création en 2007 une alliance entre le PS et le centre de François Bayrou. C’est d’ailleurs son discours de clôture de la 5e université des Gracques en novembre 2015 peu après les attentats de Paris, dans lequel il a expliqué que «la blessure que nous avons subie cette semaine, c’est la blessure des musulmans de France» et que «quelqu’un sous prétexte qu’il a une barbe ou un nom à consonance qu’on pourrait croire musulmane a quatre fois moins de chances d’avoir un entretien d’embauche qu’un autre», qui lui a valu les foudres de Manuel Valls, tout comme son soutien à la politique allemande d’accueil illimité des réfugiés. Cela explique aussi ses positions sur les questions de la laïcité et de la diversité culturelle de la France, son opposition à la déchéance de nationalité ou ses propos sur la colonisation (qualifiée de crime contre l’humanité).

En 2007, il est nommé par Nicolas Sarkozy co-rapporteur de la Commission Attali pour la libération de la croissance française. Il est déjà en contact avec François Hollande, dont le proche Jean-Pierre Jouyet, chef de l’inspection des finances en 2005–07 mais aussi membre fondateur des Gracques, repère Macron. Tous les deux illustrent la capacité des inspecteurs à dépasser les clivages partisans: Jouyet, bien que socialiste et ancien directeur adjoint du cabinet de Jospin à Matignon, devient secrétaire d’Etat aux affaires européennes du premier gouvernement Fillon avant d’être nommé en 2008 à la tête de l’AMF. Hollande le nomme à la tête de la Caisse des dépôts et Consignations en 2012, puis secrétaire général de l’Elysée en 2014. Macron décline, quant à lui, la proposition de devenir directeur adjoint du cabinet de Fillon à Matignon en 2010.

Après quatre années au ministère des finances, Macron «pantoufle» à la banque d’affaires Rothschild et Cie, l’une des deux principales institutions de ce type en France avec Lazard frères. Ces banques sont des cabinets de conseil très élitaires qui conseillent et négocient pour le compte des grandes firmes du CAC40 ou encore des divers Etats. Elles réunissent la crème de la crème de la place financière de Paris. Macron s’y forge une réputation de brillant dealmaker et gravit rapidement les échelons. En même temps, il soutient le candidat François Hollande et dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle de 2012, il anime le groupe de la Rotonde, qui réunit des économistes de sensibilité sociale-libérale (Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et d’autres), chargé de contribuer au programme économique de Hollande.

Une fois l’élection passée, Macron devient secrétaire général adjoint de l’Elysée, chargé des questions économiques et financières. Pendant ses deux années de services, il inspire le CICE et le pacte de responsabilité. Depuis le début, il est l’un des partisans les plus farouches du virage social-­libéral du quinquennat de 2014. C’est précisément le clivage au sein de la majorité de gauche à l’Assemblée Nationale qu’il cite comme exemple des blocages qui existent au sein de la gauche et de la droite françaises et qui justifient une recomposition du système partisan avec l’émergence d’un grand pôle centriste, allant de la droite de la gauche à la gauche de la droite.

La liste des soutiens de Macron se lit comme un extrait du Who’s who de la classe dirigeante française. Son principal soutien a été Henry Hermand, grand patron avec des intérêts dans la grande distribution, proche de Mendès-France puis de Rocard et du courant chrétien de gauche fondé par Emmanuel Mounier autour de la revue Esprit. Il y a aussi Alain Minc (lui aussi inspecteur des finances), passé chez Macron après avoir soutenu Juppé à la primaire de la droite, Jacques Attali (polytechnicien et membre du corps des Mines), le banquier Serge Weinberg (président de Sanofi), le banquier de gauche Jean Peyrelevade (conseiller économique du premier ministre Pierre Mauroy en 1981–83 et qui s’est occupé du programme économique de Bayrou en 2007), le financier Henri Moulard et Pascal Lamy. Selon un «habitué des dîners du pouvoir» cité dans une enquête du Monde sur Macron, «il est celui dont le Siècle a toujours rêvé: homme de gauche faisant une politique de droite» (1).

Macron a donc été le candidat au parcours le plus typique du personnel dominant les sommets du pouvoir en France. C’est dire si son projet d’un nouveau mouvement politique, «ni de droite ni de gauche», allié au Modem de Bayrou et qui propose un programme dans la continuité du quinquennat Hollande mais sans s’embarrasser d’une synthèse avec l’aile gauche du PS et EELV ou du besoin de satisfaire une partie de l’électorat de gauche, exprime les choix stratégiques d’au moins une partie de la classe dirigeante française.

Or, ce projet de constitution d’une grande majorité centriste, il n’est justement ni le seul ni le premier à le porter. Ce projet est en discussion depuis au moins une dizaine d’années, voire depuis 2002. Mais le quinquennat Hollande, la radicalisation d’une partie de la droite et la montée du Front National mais aussi sa faisabilité à travers la personne de Macron l’ont mis à l’ordre du jour.

L’idée d’une grande majorité centriste pour faire des réformes «à la Schröder»

L’idée d’une grande majorité centriste n’est donc pas nouvelle mais depuis 2012 elle s’est, semble-t-il, imposée comme inéluctable. La difficulté des gouvernements Valls à dégager un consensus au sein de leur majorité parlementaire ou bien de forger des alliances de circonstance avec une partie significative des députés de droite pour voter des lois telles que la loi Macron ou la loi El Khomry, tout comme la montée du Front National et la radicalisation d’une partie de la droite, ont apporté de l’eau au moulin des partisans d’une recomposition partisane qui de fait modifiera la logique institutionnelle de la Ve République.

Le problème vient, en effet, de cette logique. En faisant du deuxième tour de l’élection présidentielle le scrutin majeur autour duquel s’organise le système électoral et la vie politique en France – une dimension renforcée par la réforme de 2002 ayant introduit le quinquennat et ayant aligné les cycles présidentiel et législatif – les institutions de la Ve République figent le clivage politique gauche-droite qui traverse le centre de l’échiquier politique. Le mode de scrutin majoritaire à deux tours pour les élections législatives reproduit ce clivage à l’échelle des circonscriptions et conduit à une Assemblée Nationale organisée aussi selon le clivage gauche-droite. C’est cette évidence qui avait poussé François Mitterrand dès la première décennie de la Ve République à rechercher l’union de la gauche et de rompre avec l’orientation de la SFIO sous la IVe République qui avait consisté à gouverner au centre avec les partis dits de la troisième force (MRP, Radicaux, etc.) et à rejeter toute alliance avec le PCF. Le résultat est la constitution de deux blocs au sein desquels il n’existe pas de consensus en faveur des réformes prônées par les cercles du pouvoir depuis deux décennies. Alors que Sarkozy avait promis la rupture, il n’est jamais allé aussi loin que ses soutiens patronaux auraient voulu et le quinquennat Hollande s’est terminé dans la tourmente, sans majorité parlementaire viable.

La première fois qu’a été évoquée l’idée d’un gouvernement appuyé sur une grande majorité centriste a été au lendemain de l’élection présidentielle de 2002, lorsque François Bayrou a plaidé en ce sens auprès de Jacques Chirac. Mais celui-ci a préféré la constitution d’un parti unique de la majorité présidentielle permettant de solidifier le bloc de droite sur lequel il voulait s’appuyer pour gouverner. En 2007, les Gracques avaient plaidé pour une alliance Royal-Bayrou qui ne s’est pas réalisée. C’est Sarkozy qui a tenté durant la première partie de son quinquennat d’aller dans ce sens en pratiquant l’ouverture et en confiant à des commissions bipartisanes le soin d’élaborer des propositions de réformes qui pourraient être consensuelles. Mais cette tentative a aussi échoué à partir de 2009 et le lancement du débat sur l’identité nationale, conçu pour amadouer l’aile dure de la droite et empêcher l’hémorragie des électeurs de droite vers le Front National. En 2012, le vote de Bayrou pour Hollande a alimenté une machine à rumeurs sur la possibilité de faire entrer le Modem au gouvernement et de nommer son président à Matignon.

Mais c’est à mesure que la majorité parlementaire de Hollande s’effritait que l’idée d’un gouvernement d’union nationale s’est imposée. Hubert Védrine – lui aussi énarque, conseiller diplomatique puis secrétaire général de Mitterrand à l’Elysée, ministre des affaires étrangères de Jospin, puis conseiller des entreprises du CAC40 et membre du conseil d’administration de LVMH – a publié en février 2014 un livre, La France au défi, dans lequel il défendait une «coalition droite-gauche pour la réforme» qui permettrait de faire rapidement des réformes et puis de revenir dans la routine du clivage gauche-droite. Attali a appelé à un «gouvernement de salut public», à défaut d’un «Grand parti de Salut Public», et Lamy à un gouvernement d’union nationale réformiste, tout comme Luc Ferry, l’ancien ministre de l’éducation nationale de Chirac. A droite, c’est l’aile modérée des Républicains qui a fait entendre cette musique. Alain Juppé a évoqué en janvier 2015 la perspective d’une grande coalition pour que «les gens raisonnables gouvernent ensemble et laissent de côté les deux extrêmes, de droite comme de gauche» avant d’estimer en avril que «le mouvement d’union nationale viendra, c’est évident». C’est sans doute ce qui lui a valu le soutien de Bayrou – le précurseur de ce mouvement vers la recomposition du paysage partisan – durant la primaire de la droite. C’est, ensuite, Jean-Pierre Raffarin, soutenu par Valls, qui au lendemain des régionales de décembre 2015 a proposé un «pacte républicain contre le chômage» alors que la thématique du gouvernement d’union nationale était revenue en force dans le débat public comme solution face au Front National.

Mais peut-être l’indication la plus claire de l’état d’esprit de la classe dirigeante française sur la question du système politico-­institutionnel vient des prises de position publiques d’un grand patron industriel, Jean-Louis Beffa. Beffa, polytechnicien et membre éminent du corps des Mines, a été PDG de Saint-Gobain de 1986 à 2007, puis président d’honneur de cette grande firme qui occupe une place centrale dans la constellation élitaire et des affaires en France. Il jouit surtout de la réputation d’être le «pape de l’industrie française», tant son rôle est celui de représentant éminent du grand patronat industriel français. Son influence s’exerce à la fois à gauche et à droite, même s’il est classé plutôt à droite.

Sous Hollande, il s’est très rapidement imposé comme un «visiteur du soir» très influent du président et de ses ministres économiques, et avec deux autres grands patrons industriels, Louis Gallois et Louis Schweitzer, il a inspiré une bonne partie de l’agenda du quinquennat. Les réformes qu’il énumère dans un livre paru en 2013, La France doit agir, se lisent comme une liste des principales mesures prises par Hollande à partir de 2013.

Beffa, donc, a déclaré, «rêver de voir la France dirigée par une grande coalition avec Alain Juppé à l’Elysée et Emmanuel Macron à Matignon afin qu’ils fassent ensemble des réformes à la Schroeder». Comment explique-t-il ce «rêve»? « Tous les pays qui réussissent … le font car il existe une union de la droite et de la gauche, dans des positions centristes très différentes des idéologies un peu extrêmes qu’on peut avoir en France». «En France, il y a à gauche 20 %, Front de Gauche, écologistes, qui n’admettent pas les faits réels, et à peu près la même chose, pareil, 20 % peut-être même plus, actuellement qui, à l’extrême droite, ne les acceptent pas non plus. Il reste 60 %. S’ils se coupent en deux, eh bien, on n’aura jamais de majorité pour faire des réformes».

Le plus surprenant est peut-être que Beffa, outre la grande coalition allemande, prend comme exemple de ce qu’il faudrait le bloc de la troisième force sous la IVe République, mais sans remettre en cause le présidentialisme de la Ve. La concentration des pouvoirs aux mains du président de la République reste une institution qui préserve l’influence de la classe dirigeante sur le système politique. Il s’agirait donc de modifier le fonctionnement de celle-ci pour éviter que le clivage central s’opère au centre selon le clivage gauche-droite, en réalisant une grande majorité centriste allant de la droite de la gauche à la gauche de la droite se démarquant des deux extrêmes – à droite comme à gauche – et permettant de les marginaliser.

Ce modèle s’inspire clairement des systèmes parlementaires à la proportionnelle, notamment le modèle allemand. Pendant la crise, la capacité de forger des grandes coalitions centristes a été appréciée par les élites françaises comme étant une source importante de la solidité de l’Allemagne. Ce n’est pas un hasard que les élites françaises s’inspirent du modèle politico-­institutionnel allemand au moment où l’enjeu du moment est de faire des réformes qui rétabliront la crédibilité de la classe dirigeante française aux yeux de son partenaire allemand. La crédibilité française est en effet la condition sine qua non demandée par les élites allemandes avant d’engager une grande réforme de l’Union européenne et de la zone euro qui devrait déboucher sur un système beaucoup plus centralisé, avec notamment un ministère des finances européen, une fiscalité commune et un système de transferts fiscaux organisant une solidarité fiscale entre les Etats-membres de la zone euro.

La recomposition politique en cours selon le modèle de la grande majorité centriste

La victoire de Macron accélère donc le processus de recomposition politique. Le paysage à droite n’est, pour le moment, pas clarifié, mais Alain Juppé (lui aussi, au passage, inspecteur des finances), Bruno Le Maire et leurs proches affichent déjà leur volonté de travailler dans une coalition avec les partisans de Macron, tandis qu’une bonne partie de la droite dure (Sens commun, Laurent Wauquiez, une partie des Sarkozystes) s’est déjà déclarée dans l’opposition. De même, alors que le fondateur de l’UDI, Jean-Louis Borloo, a entrouvert dès le mois de mars la porte à une alliance avec Macron dans la nouvelle Assemblée en expliquant au Monde son souhait «d’une recomposition politique entre des forces de gauche modernes et une droite progressiste», des personnalités de la droite dure – Philippe De Villiers, Patrick Buisson – ont rallié la campagne de Marine Le Pen et d’autres (Nicolas Dupont-Aignan, le Parti Chrétien-Démocrate) ont appelé à voter pour elle, sans compter ceux (Sens Commun, La Manif pour tous, Nadine Morano) qui ont choisi le ni-ni entre les deux tours.

Marine Le Pen a depuis sa prise du pouvoir au Front National axé sa stratégie sur la perspective de détacher une partie importante des Républicains pour former une grande coalition de droite réactionnaire et souverainiste – une orientation qu’elle entend poursuivre via son appel à la refondation de son parti. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le scénario idéal pour le Front National était celui d’une candidature de Juppé à la présidentielle. Le paysage à droite n’a donc pas fini de se recomposer. Le moment de la recomposition finale s’annonce pour la fin juillet après les élections législatives puisque pour le moment, la cohésion des Républicains se maintient grâce à la possibilité d’une éventuelle majorité parlementaire issue de ces élections.

A gauche, la victoire de Benoît Hamon à la primaire de la gauche a signé la victoire des frondeurs et la difficulté d’arrimer le PS au projet de Macron. Mais les premiers ralliements socialistes à Macron datent d’avant cette primaire et la victoire de celui-ci a encore accéléré le processus avec le rapprochement de Valls et l’investiture d’une trentaine de députés socialistes sortants par En Marche (ce qui conduira à leur exclusion du Parti). Mais dans ce cas-là aussi la clarification finale est renvoyée à la fin juin puisque le Parti Socialiste a choisi une plateforme programmatique qui ne tranche pas clairement entre opposition et participation à la majorité parlementaire présidentielle pour les futurs députés socialistes, ainsi permettant aux tenants des deux lignes de cohabiter pendant quelques mois encore. La bataille au sein du Parti fait rage et Hamon et d’autres sensibilités de la gauche du parti (dont le réseau auquel j’appartiens, la Gauche démocratique et sociale (2) ) ont annoncé leur ligne d’opposition à Macron et appelé à la recomposition de la gauche oppositionnelle via une alliance de ses différents courants.

En effet, pour la gauche, la recomposition du système partisan implique que les divers courants de celle-ci qui entendent s’inscrire dans l’opposition (France Insoumise, PCF, Ensemble, EELV, Gauche du PS) sont «condamnés à s’entendre». Présenter trois ou quatre candidats par circonscription aux législatives ne ferait que faciliter encore plus la tâche à Macron. Mais alors que Jean-Luc Mélenchon est bien placé pour prendre la tête de cette recomposition, il persiste dans la ligne suicidaire de la table rase (avec en prime la rupture bruyante avec ceux qui l’ont soutenu à la présidentielle, notamment le PCF) qui a engendré la division et empêché la gauche d’être au second tour de la présidentielle ; l’émiettement va donc sans doute dominer aux législatives et le chemin de la renaissance de la gauche s’allonger d’autant.

Il y aurait, pourtant, tout à espérer d’un accord politique rapide qui permette d’élire un maximum de députés de gauche oppositionnels à Macron et sur cette base construire une nouvelle gauche démocratique et pluraliste (via un nouveau parti pluraliste rose-rouge-vert, une fédération d’organisations ou tout simplement une entente entre courants déjà constitués pour réaliser l’unité d’action). Aucun courant seul ne parviendra à incarner cette nouvelle gauche, surtout s’il se mure dans une ligne politique sectaire qui érige le choix de la table rase en principe stratégique central. Au demeurant, les divisions de ses opposants feront les affaires du nouveau président qui dès l’été entend passer à l’acte avec des ordonnances (des lois mises en place par l’exécutif que le parlement ne discute pas) qui approfondiront encore davantage le processus de décentralisation des négociations collectives engagés avec la loi El Khomry.

Christakis Georgiou

  1. Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin «Le fantasme Macron», Le Monde, 13 Novembre 2015.
  2. democratie-socialisme.org