Violences sexistes en direct

De récentes agressions sexistes ou homophobes mettent en lumière le climat délétère qui sommeille dans les médias mainstream. Culture du viol et misogynie: tout y passe sous couvert de moquerie et de divertissement.

Cyril Hanouna

Revenons d’abord sur les derniers cas, qui s’inscrivent dans une longue liste et connaitront assurément de nombreux successeurs. Cas numéro 1: dans l’émission qu’il présente, Touche pas à mon poste (TPMP), Cyril Hanouna propose une séquence dans laquelle il se fait passer pour un homme cherchant à rencontrer des hommes gays à travers une annonce très provocatrice. Il répond ensuite en direct aux personnes intéressées, les poussant à s’épancher sur leurs désirs pour susciter la moquerie.

Cas numéro 2: lors d’une interview au cours du tournoi de tennis de Roland-Garros, un joueur français embrasse de force la journaliste alors qu’en plateau les collègues de cette dernière se gaussent. Cas numéro 3: un extrait de l’émission de Yann Barthès, Quotidien, montre un jeune garçon expliquer que s’il se rend au salon de youtubeuses Get Beauty, c’est parce que «comme tu es le seul garçon, tu es un peu le seul choix. Et il y a énormément de proies pour un seul prédateur». Commentaire de l’émission: «il a tout compris».

Violence ou déconne

Une telle série fait froid dans le dos. D’autant plus quand certains nous affirment que tout cela ne serait «pas si grave», ou que ce serait «juste pour rire». Malgré l’argument de la déconne, ce type de phénomène est aujourd’hui rapidement condamné et les présentateurs amenés à présenter des excuses. Le tout participe néanmoins d’un climat de banalisation des violences misogynes ou homophobes, le prétexte de la rigolade restant pertinent aux yeux d’une large partie du public, qui voit dans les cas cités des moqueries ou des tentatives de séduction inoffensives.

Pour autant, on peut évidemment parler de violence. Dans le premier cas, Cyril Hanouna ne se contente pas de moquer l’homosexualité en reprenant des stéréotypes (il effémine sa voix, par exemple). Il reprend carrément une pratique courante dans les milieux homophobes. Ces derniers «chassent du pédé» en se faisant passer pour des gays à la recherche de rencontres. De plus, en piégeant ces personnes en direct, Cyril Hanouna dévoile de force leur sexualité au grand public. Ce qui aura d’ailleurs des conséquences concrètes, l’une d’elles ayant été forcée par ses parents de quitter son domicile à la suite de l’émission.

Dans le cas du joueur de tennis, il s’agit de harcèlement sexuel dans la définition qu’en donne la loi française. Le joueur profite de la situation du direct pour embrasser plusieurs fois de force la journaliste malgré son non-consentement évident. Dans le cas du Quotidien, le langage reprend des termes propres au discours misogyne en perpétuant la culture du viol et en présentant les femmes comme des proies. Si le témoignage du garçon se révèle être un canular, le fait de le présenter en ces termes («il a tout compris») ne l’est pas.

Dans les trois cas, ce qui est grave, c’est que la télévision non seulement diffuse ces violences, mais les dédramatise sous l’angle de la franche rigolade. En plateau, on se tape sur les cuisses devant ces formes pourtant probantes de violence.

Un climat transversal

Une retransmission sportive, une émission d’info-divertissement destinée à un public jeune et souvent identifié comme branché, un show réalisant des records d’audience (1,3 million de spectateurs et de spectatrices dans le cas cité): la diversité des médias dans lesquels ces phénomènes s’observent démontre la présence transversale de tels problèmes. Il serait faux de les situer uniquement dans la télévision visant un public populaire; ils nous disent beaucoup sur la situation générale de l’offre médiatique télévisuelle actuelle: y règnent presque uniquement les logiques du divertissement, l’info n’étant plus diffusée que sous cet angle. A l’échelle du divertissement-­roi, les quelques scandales pèsent bien peu face à la quête perpétuelle de l’audience et des buzz obtenus grâce à différents coups d’éclat.

On entend souvent qu’il ne faut pas trop intellectualiser la télévision. Que des programmes comme TPMP sont là pour divertir les travailleuses et travailleurs exténués par leur journée de travail. On pourra rétorquer que cet horizon social reste déprimant et appelle au changement, et que derrière le populaire se cachent en réalité les intérêts de patrons milliardaires comme Vincent Bolloré dans le cas de TPMP. Cette recherche du scandale et de blagues plus que douteuses s’appuie certes sur l’homophobie et le sexisme fortement présents dans la population, notamment dans ses pratiques humoristiques, mais elle cherche avant tout à faire fructifier l’audience et les intérêts publicitaires qui l’accompagnent.

Face à cette situation, il est indispensable de dénoncer et de mettre en lumière ces actes misogynes et homophobes. La résonance qu’offrent les réseaux sociaux permet parfois d’influer et de prévenir sur les prochains contenus. Changer les représentations présentes à la télévision peut faire évoluer la perception sociale des femmes et des homosexuel-le-s. Plus largement, ces phénomènes télévisuels étant ancrés dans le patriarcat et l’hétérosexisme qui structurent notre société, c’est face à ces normes dominantes qu’une lutte de longue haleine doit être menée.

Pierre Raboud