Pourquoi l'hommage unanime à Simone Veil est-il hypocrite et mensonger?

L’annonce de la mort de Simone Veil, figure de la loi de 1975 instaurant pour la première fois en France le droit à l’avortement, a été l’occasion de nombreux hommages.

«Icône de la lutte pour les droits des femmes», d’après Le Monde, «le meilleur de la France», pour Emmanuel Macron, et même «une femme qui aura marqué son empreinte sur la vie politique française», selon… Marine Le Pen. Dès l’annonce de son décès, l’ensemble du champ médiatique et politique s’est exprimé pour rendre hommage à l’ancienne ministre de la Santé de Giscard d’Estaing, rescapée des camps de concentration pendant la Seconde Guerre Mondiale et défenseure de l’Union Européenne. Une telle unanimité pour une femme politique et pour les droits des femmes à disposer de leur corps ne peut guère passer inaperçue. Que nous vaut donc cet élan de sympathie pour les droits des femmes?

Ce que fut sa bataille… et ce qu’elle ne fut pas

L’histoire de la loi de 1975 que l’on nous apprend à l’école a tout d’une fresque épique. Celle-ci raconte l’histoire d’une femme, rescapée des camps de la mort, et qui a bataillé seule face à l’Assemblée Nationale pour arracher une majorité favorable au droit à l’avortement. Ce récit, comme tout récit mythique, a évidemment une part de réalité. Mais la dureté de cette bataille et le courage qu’a eu Simone Veil en défendant ce projet de loi promis par Giscard d’Estaing ne peuvent être utilisés pour réécrire l’histoire. Car si justement le nouveau président élu en 1974 promet cette loi, c’est parce qu’il n’a pas qu’une seule et unique femme en face de lui, mais des milliers, descendues dans la rue à la chaleur des années 68.

Et ramener la lutte pour le droit à l’avortement à la bataille d’une femme «icône» permet de faire oublier les limites de la loi de 1975. En effet, cette loi déjà très tardive par rapport à d’autres pays du monde (URSS en 1918) avait plusieurs limites, la rendant presque contradictoire avec la logique du mouvement féministe. En premier lieu, elle légalisait l’avortement sans pour autant le reconnaître comme un droit, et le liait à «une situation de détresse»: il ne s’agissait donc pas là du droit à disposer de son corps, mais de «sauver» les femmes en détresse. Ensuite, elle limitait le recours à l’avortement à 10 semaines. Enfin, elle laissait aux médecins une «clause de conscience», qui leur permettait de refuser de le pratiquer. Si cette loi était bel et bien une victoire, on était bien loin de la revendication de l’avortement libre et gratuit!

Le Panthéon de l’hypocrisie et de l’instrumentalisation

Depuis l’annonce de son décès, de nombreuses voix se sont élevées pour faire entrer Simone Veil au Panthéon. Une pétition a même été adressée à Emanuel Macron. Mais ce qu’oublie de préciser le président, c’est ce pour quoi Simone Veil lui apparaît comme «le meilleur de la France». Serait-ce pour cette bataille qu’elle a mené, ou bien pour sa défense de l’Union Européenne dont le président cherche à redorer le blason? Ou bien pour son soutien à la Manif pour tous?

Si le président lui rend cet hommage, c’est parce qu’il permet, à peu de frais, de faire oublier les dangers qui pèsent sur le droit à l’avortement en France. En dix ans, ce ne sont pas moins de cent trente centres d’IVG qui ont fermé, du fait de coupes budgétaires. Et, alors que le gouvernement Philippe prévoit une nouvelle cure d’austérité, il y a fort à parier sur le fait que ce sont sans doute à nouveau des services publics de ce type qui en payeront les frais. Une place au Panthéon pour faire oublier les droits des femmes, et surtout faire oublier que cette grande République française soi-disant progressiste, ne nous a jamais accordé aucun droit que nous n’ayons pas conquis de haute lutte.

Sarah Brunel

Publié sur le site Révolution permanente, adaptation et intertitres de notre rédaction