Ben Salmane au pouvoir

Des évènements importants se sont déroulés au sein de la classe dirigeante saoudienne ces dernières semaines. Le remue–ménage a commencé lorsque, quelques heures après avoir été appointée par le roi Salmane, une commission «anticorruption» a procédé à l’arrestation de dizaines de membres de la famille royale, des hauts fonctionnaires et des hommes d’affaires.


Mohamed Ben Salmane Al Saoud et son père Salmane Ben Abdelaziz

Il est évident que ces arrestations ne sont pas l’expression d’une illumination morale de la part des dirigeants saoudiens. Mohamed Ben Salmane (MBS), le président de cette commission (fils et héritier désigné du roi Salmane), avait récemment fait la une des journaux pour son yacht acheté 500 millions de dollars.

La dictature des al-Saoud s’exerçait historiquement par une répartition du pouvoir d’Etat entre les différentes branches de cette grande famille. Mais depuis l’accession au pouvoir du roi Salmane, son fils Mohamed concentre les leviers du pouvoir administratif, économique et sécuritaire du pays. Son coup de main, au nom de la lutte anticorruption, doit être compris dans ce sens

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Les défis de la classe dirigeante saoudienne

En toile de fond de ces ma­nœuvres de palais se dressent des défis historiques de la classe dirigeante saoudienne. Le capitalisme saoudien repose sur la manne pétrolière et l’exploitation impitoyable de la main d’œuvre étrangère. La baisse des prix du pétrole crée des difficultés pour l’économie et a mené MBS à annoncer toute une série de réformes stratégiques et néolibérales qui font office de mini-révolution dans ce pays aux pratiques capitalistes si particulières.

Par exemple, l’immense entreprise pétrolière de l’Etat, Saudi Aramco, ouvrira pour la première fois son capital aux investisseurs étrangers, ce qui signifie qu’elle devra publier ses comptes, une autre première historique. Par ailleurs, les hommes d’affaires arrêtés ont des investissements qui se chiffrent en dizaines de milliards dans la région ; des sources assurent qu’ils seront libérés prochainement s’ils consentent à céder le contrôle d’une partie de leurs capitaux à l’Etat. Il est probablement trop tôt pour prévoir la réaction des investisseurs internationaux, tant convoités par MBS, aux secousses qui ont touché le royaume.

L’autre volet de réformes est la question régionale. L’Arabie Saoudite et les autres pays du Golfe ont joué un rôle crucial dans la transformation néolibérale des économies arabes et ce dès les années 1970, plaçant leurs capitaux et leurs circuits financiers au centre des privatisations. La projection de la puissance économique s’est accompagnée de celle de la puissance politique, et l’Arabie Saoudite a acquis progressivement un rôle central dans la région à mesure que s’éteignaient les restes du nationalisme arabe prôné par Nasser.

En parallèle, le retrait relatif des Etats-Unis de la région après leur fiasco Irakien a donné plus d’autonomie à leurs alliés Turcs et Saoudiens, mais aussi à leur adversaire Iranien, l’autre poids lourd de la région. Les révolution arabes (qui ont été, ironie de l’histoire, en partie nourries par les réformes néolibérales encouragées par le capitalisme Saoudien) et surtout les contre-révolutions ont plongé la région dans un véritable chaos et exacerbé les rivalités entre les puissances régionales qui se jouent désormais militairement en Irak, en Syrie et au Yémen.

Le belliqueux MBS est responsable de la guerre Saoudienne contre le Yémen qui dure depuis 2015. Deux ans de bombardements aériens, durant lesquels les alliés n’ont pas assuré d’avancée décisive contre les rebelles Houthis mais ont causé d’immenses destructions, des milliers de victimes civiles, des famines et des épidémies. Il est aussi l’architecte du blocus contre le Qatar, coupable à ses yeux d’une trop grande indépendance dans sa politique étrangère, notamment à l’égard de l’Iran.

Sous couvert de guerre contre Daech se joue une immense partie d’échecs sur la Syrie et l’Irak. Au milieu des alliances et retournements des nombreux acteurs locaux, régionaux et internationaux, c’est l’Iran qui semble le mieux tirer son épingle du jeu. MBS le sait et il compte utiliser son assise renforcée en Arabie Saoudite comme tremplin pour contre-attaquer. La démission grotesque du premier ministre libanais Saad Hariri – annoncée depuis l’Arabie Saoudite au même moment des arrestations – est un signe que la rivalité Irano Saoudienne pourrait reprendre de plus belle au Liban.

Quelles conséquences au Liban?

Mais le coup de force de MBS ne semble pas – pour l’instant– avoir eu l’effet escompté. La classe dirigeante libanaise, et surtout ses composantes alliées de l’Arabie Saoudite, ont refusé de se laisser entraîner dans cette aventure qui visait à faire monter les tensions entre elles et le Hezbollah.

Ce dernier, par son intervention militaire décisive aux côtés de la contre-révolution en Syrie, a affirmé sa stature de maillon fort de «l’axe pro-iranien» – Téhéran, Bagdad, Damas et Beyrouth. C’est pourquoi il est désormais dans le viseur de MBS, qui ne cache plus sa proximité avec Israël sur ce sujet. Des observateurs discutent de la possibilité d’une guerre Israélienne avec support saoudien contre le Hezbollah. Même si cette probabilité se voit renforcée sur le moyen terme, Israël n’est pas un simple exécutant et les souvenirs de 2006 sont encore trop inscrits dans les mémoires de Tsahal, ce qui exclut a priori une guerre dans l’immédiat.

Cet épisode est un rappel que la logique compétitive du système capitaliste se traduit en rivalités politiques et militaires entre les grandes puissances régionales. Les classes dirigeantes des pays plus petits, liées aux grandes puissances par des liens économiques, politiques et idéologiques, c’est-à-dire par des liens systémiques, ont tendance à refléter ces clivages aux dépens de leurs peuples.

Jad Bouharoun

Cet article est une version traduite et modifiée d’un article paru le 7-11-2017 sur le site turc marksist.org