Chili

Chili : Elections présidentielles - Un premier tour plein de surprises

Un premier tour plein de surprises

Selon les sondages et les médias dominants, les élections présidentielles chiliennes allaient confirmer le virage à droite de l’Amérique latine. Le retour du Berlusconi local, l’ex-président Sebastian Piñera, était assuré.


Beatriz Sánchez, candidate du Frente Amplio

Caramba! Encore raté! En 2009, Sébastian Piñera avait obtenu 3,6 millions de voix. Le 19 novembre, il n’en a récolté que 2,4 millions (36,62 %). Du côté du candidat socialiste Alejandro Guillier, le résultat n’est pas excellent: 22,67 % des suffrages. Beatriz Sánchez – candidate d’une nouvelle formation de gauche, le Frente Amplio – obtient un score de 20,27 %. Et le Frente Amplio obtient 20 député·e·s. Pour analyser cette situation, le journal solidaritéS a recueilli l’avis de Franck Gaudichaud, spécialiste de l’Amérique latine. L’intégralité de cet entretien est disponible ICI.

Plusieurs sondages donnaient comme vainqueur des prochaines élections à la présidence du Chili l’ex-président Sebastian Piñera. Pourquoi ce possible retour en force du représentant d’une droite anti-sociale?

Piñera a axé toute sa campagne sur la faible croissance et les désillusions. Il a tenu un discours axé sur l’entreprise, le développement et l’ascension individuelle. Sur le plan macro-économique, le centre-gauche et la droite mènent souvent la même politique. A droite de Piñera, on trouve un pinochetiste, José Antonio Kast (qui a tout de même obtenu 8 % des suffrages). Mais au sein de la coalition de Piñera, on trouve aussi des nostalgiques de Pinochet, ce qui rappelle à quel point l’ombre de la dictature continue de planer sur le Chili actuel.

Quel est le bilan du mandat de Michelle Bachelet et du gouvernement de la «Nouvelle majorité» (les partis de la Concertation [PS et PDC] et le Parti communiste)?

Le deuxième gouvernement de Michelle Bachelet résulte d’une campagne menée à une époque où l’actuelle présidente était très populaire. Cette campagne avait récupéré en partie les revendications des mouvements sociaux de 2011, notamment le mouvement étudiant pour une éducation gratuite. On peut faire le bilan. Elle a réalisé une réforme fiscale de deuxième zone, n’attaquant pas vraiment le capital et les plus riches. Et seulement 28 % des étudiant·e·s ont accès à l’enseignement gratuit: il s’agit d’une subvention de l’Etat aux établissements privés, même si l’objectif est d’arriver à 80 % de gratuité d’ici 2020. La réforme de la Constitution a été effectuée à guichets fermés, elle doit être approuvée par le Parlement et non par une Assemblée constituante.

Existe-t-il une alternative de gauche à la Nouvelle majorité? Y a-t-il une recomposition politique crédible de la gauche radicale chilienne?

C’est la surprise de ce premier tour: les résultats du Frente Amplio, dont la candidate, Beatriz Sánchez, dépassent les 20 %, permettant de talonner le candidat soutenu par Michelle Bachelet, Alejandro Guillier (moins de 23 % des suffrages). Beatriz Sánchez a failli se retrouver au second tour, alors qu’elle n’était créditée que de 8–10 % dans les sondages. C’est une baffe pour les médias dominants. Le Frente Amplio a réussi à mobiliser certains quartiers populaires, des grandes communes comme Puente Alto et Maipu à Santiago. Il a réussi à disputer l’électorat populaire à la droite, forte dans ces zones.

Le Frente Amplio vient en partie de secteurs ayant dirigé le mouvement étudiant de 2011 avec notamment deux jeunes députés, Gabriel Boric et Giorgio Jackson. Il regroupe un spectre assez large, allant d’un centre-gauche libéral jusqu’à des organisations plus radicales comme Igualdad ou Izquierda Libertaria. Il s’agit d’une gauche anti-néo-­libérale, qui représente une sorte de France Insoumise ou de Podemos à la chilienne. Les secteurs de la gauche révolutionnaire les critiquent comme provenant essentiellement du milieu étudiant et des classes moyennes. Mais le Frente Amplio a réussi à se transformer en alternative nationale: la grande surprise, c’est son entrée au Parlement avec 20 député·e·s et 1 sénateur. Auparavant, il n’avait que 2 députés maintenant il a plus de député·e·s que le Parti socialiste chilien et deux fois plus de député·e·s que le Parti communiste.

La recomposition à gauche va s’accélérer. Reste à voir s’il s’agira seulement d’un pari électoral, débouchant sur une intégration au système, ou si le Frente Amplio réussira à s’appuyer sur les luttes, voire à se rapprocher des secteurs de la gauche anticapitaliste qui n’appartiennent pas à cette coalition. Or, il y a en son sein de grandes contradictions, certain·e·s étant tentés par un réformisme centriste et d’autres réclamant une orientation vers les luttes.

Bien entendu, entre les deux tours, il y a une pression sur le Frente Amplio: pour l’emporter, Alejandro Guillier a besoin des voix de Beatriz Sánchez. Il faut aussi relever l’effondrement d’un parti des classes dominantes la démocratie chrétienne. Le Frente Amplio peut exercer une pression pour mettre fin au système des fonds de pension et œuvrer à une réforme de l’éducation, au contrôle des ressources naturelles et pour une Assemblée constituante. Ce sont des éléments pour un appui à Guillier, mais sans pour autant entrer au gouvernement. Si certain·e·s sont tentés de le faire, ce serait une véritable catastrophe en termes d’indépendance. Or, l’un des grands absents, ce sont les travailleurs·euses mobilisés, restés largement en dehors de cette campagne électorale, alors que le mouvement syndical est en train de se réorganiser.

Propos recueillis par Stefanie Prezioso Traduction: HPR