Le TF passe, la justice trépasse

Après 7 ans de bataille judiciaire, le Tribunal fédéral rendait le 1er septembre dernier sa décision concernant le licenciement prononcé par Edipresse à l’encontre de Hans Oppliger, alors représentant élu du personnel au Conseil de fondation de la caisse de pension. Une confirmation, en quelques pages, du blanc-seing accordé en Suisse aux licenciements antisyndicaux.


Manifestation devant le siège d’Edipresse à Lausanne, le 15 décembre 2017

Retour sur les faits

A l’automne 2009, le groupe Edipresse procède à un licenciement collectif visant la réduction d’une centaine de postes, sous fond de rachat par la société Tamedia. L’opération financière étant en partie liée à la valeur boursière du titre au moment de la transaction, la restructuration vise alors une optimisation des profits par la baisse de la masse salariale du groupe.

C’est dans ce cadre que Hans Oppliger, employé du Centre d’impression, mais surtout représentant du personnel au sein du Conseil de fondation de la caisse de prévoyance des employés et ancien président de la Commission du personnel de l’industrie graphique, reçoit son licenciement pour un prétendu motif économique. Après avoir contesté, en vain, son licenciement auprès de son employeur, il saisit la Chambre patrimoniale cantonale vaudoise, requiert l’annulation de son licenciement pour non-respect des procédures conventionnelles et dénonce un licenciement abusif.

La triple confirmation de l’impunité patronale

Débouté en première instance, comme en appel, Hans Oppliger poursuit la lutte au Tribunal fédéral où il espère pouvoir faire évoluer la jurisprudence en terme de protection des délégué·e·s syndicaux contre les licenciements. Faiblement doté, le droit suisse du travail ne prévoit pas d’interdiction de tels licenciements, mais considère comme abusif un licenciement prononcé en raison de l’appartenance ou de l’activité syndicale du salarié concerné.

La demande d’annulation déposée s’appuie également sur une disposition de la Convention collective de travail pour l’industrie graphique, dans laquelle la partie syndicale a pu négocier l’ajout d’éléments de protection à l’égard des représentants syndicaux. Après un rappel de l’interdiction de licencier des délégué·e·s syndicaux en raison de leur activité de représentation, la CCT prévoit une procédure d’annonce préalable obligatoire lorsque l’entreprise envisage de licencier un·e représentant·e pour d’autres motifs. Comme le fait valoir la défense d’Hans Oppliger, la volonté affichée par les partenaires sociaux derrière l’introduction d’une telle procédure – en amont de toute décision de licenciement – est de permettre à la partie visée par cette annonce d’influer réellement sur le processus décisionnel. Dans le cas d’espèce, il ressort toutefois du comportement de l’entreprise que celle-ci avait dès le départ pris la décision définitive de licencier Hans Oppliger, de sorte que la procédure d’annonce préalable n’avait pas été valablement effectuée.

L’arrêt rendu le 1er septembre dernier par le Tribunal fédéral intervient dans ce contexte pour confirmer, une troisième fois, l’impunité dont jouissent en Suisse les patrons lorsqu’ils souhaitent se débarrasser de l’opposition syndicale dans leur entreprise et de l’opportunité alléchante que représente une restructuration pour masquer les basses œuvres.

Le Tribunal fédéral balaye ainsi l’argument de violation de la procédure prévue par la CCT. Il indique considérer que cette disposition conventionnelle de protection des délégué·e·s syndicaux ne vise pas à offrir la garantie de pouvoir intervenir dans le processus décisionnel. L’article viserait ainsi uniquement à établir une discussion préalable afin de laisser la possibilité de vérifier que les motifs émis par l’employeur·euse, qui envisage un tel licenciement, n’ont aucun rapport avec l’activité de représentation du personnel déployé par le·la salarié·e concerné·e. Le Tribunal fédéral confirme également l’avis des premiers juges selon lesquels la qualification de licenciement abusif ne pourrait être retenue, dans la mesure où le licenciement a été prononcé pour des motifs de restructuration.

Licenciements antisyndicaux: il est temps de renforcer la loi!

Peu étonnant sur le fond au regard du mépris dont fait preuve le système suisse en matière de défense des droits syndicaux, cet arrêt marque toutefois l’écrasante marge de manœuvre que laisse le droit suisse en s’arrêtant à l’analyse de la seule première intention. Qu’une restructuration se profile à l’horizon et c’est alors la voie ouverte pour se débarrasser de celles et ceux qui gênent par leur activité de revendication et d’organisation des collègues. Qu’un licenciement collectif soit prononcé et c’est alors un boulevard pour saper, pendant des années, l’activité syndicale dans une entreprise. Au-delà du cas individuel, c’est la valeur d’exemple de tels licenciements qui, petit à petit, fait germer un esprit de défaite bloquant toute velléité de lutte. Un licenciement antisyndical n’est donc pas seulement une atteinte au droit des salarié·e·s concerné·e·s, mais bien une violation qui sape le principe même d’une organisation syndicale.

Année après année les exemples se répètent et suscitent des communiqués par lesquels les centrales syndicales font part de leur indignation. De belles intentions qui devraient aujourd’hui se traduire en actes, dans une démarche offensive visant à redonner confiance aux militant·e·s qui luttent aujourd’hui sur leur lieu de travail. Il est temps de renforcer la loi!

Audrey Schmid