Pourquoi nous devons dire Non à No Billag
Nous publions ci-dessous le point de vue de Marie-Lou Pahud sur l’initiative de l’UDC No Billag. Nous reviendrons dans le journal de rentrée sur les raisons du «Non mais…» débattu samedi dernier par la coordination inter-régionale de solidaritéS. [Réd.].
No Billag divise. L’initiative lancée par des jeunes UDC et PLR s’est trouvé des allié·e·s et des adversaires de tous bords politiques. Alors qu’à droite on oppose majoritairement à Billag une supposée liberté de consommation, il est difficile à gauche de défendre sans sourciller la taxe antisociale perçue par la filiale de Swisscom.
La nécessité d’un service public
L’offre proposée par la Société suisse de radiodiffusion (SSR) ne convainc pas tout le monde, mais elle a le mérite d’être large. En plus des chaînes de télévision nationales de chaque région linguistique, la SSR finance les radios, les chaînes de télévision locales et un large panel de projets audiovisuels suisses. Et là où certain·e·s pensent que le privé pourrait prendre le relais au plan national, il est impossible qu’il en soit de même pour les régions. En effet, à part la région zurichoise dont la densité permettrait un autre fonctionnement, les régions à minorité linguistique comme la Suisse romande, le Tessin et les Grisons seraient les plus affectées. Le financement de Billag qui provient de ces régions est bien inférieur aux montants qui y sont réinvestis par la SSR, et le rejet du service public représenterait donc un appauvrissement de la diversité médiatique et culturelle de la Suisse. Le processus qui a pu être observé à travers la concentration de la presse écrite sous contrôle de Tamedia et Ringier, ainsi que d’hommes d’affaires proches de l’UDC, sera renforcé en cas de démantèlement de la SSR.
Laisser les investisseurs privés s’emparer du secteur médiatique et audiovisuel suisse, c’est également mettre en danger la qualité de l’information fournie aux citoyens. Le financement des chaînes par des grands groupes privés ne peut qu’inquiéter quant à l’indépendance de l’opinion donnée et de l’information relayée.
De plus, au-delà des articles qui seraient ajoutés à la Constitution fédérale si No Billag était acceptée, il faut tenir compte de ceux qui seraient supprimés. L’un d’eux mérite en particulier d’être défendu: «La radio et la télévision contribuent à la formation et au développement culturel, à la libre formation de l’opinion et au divertissement. Elles prennent en considération les particularités du pays et les besoins des cantons. Elles présentent les événements de manière fidèle et reflètent équitablement la diversité des opinions».
Supprimer le financement par la Confédération de tout média public (car c’est bien là-dessus que nous votons), c’est également faire disparaître la SSR d’ici à 2019. Il s’agit de supprimer environ 13 500 postes en Suisse, dont un tiers en Suisse romande. En plus des emplois directs de la SSR, tous les métiers exercés par des personnes dont l’activité dépend des subventions publiques dans les secteurs de la culture, du commerce local, des fournisseurs, de l’audiovisuel et des services techniques sont concernés.
Le texte de loi et la taxe en question
Malgré notre volonté de défendre le service public en rejetant sans hésiter No Billag, il faut s’engager, au delà de cette votation, pour un financement juste de la SSR, c’est-à-dire qui tient compte de la capacité contributive des ménages. La taxe prélevée par Billag, généralisée en 2015 (ce qui a permis de diminuer son coût) est injuste car elle n’est pas proportionnelle aux revenus. Et bien que la question posée par cette votation ne concerne pas le mode de financement, il est compliqué de faire campagne pour un système qui repose sur une taxe antisociale.
De ce point de vue, le comité d’initiative a frappé fort car les tensions liées au financement de Billag ne datent pas d’hier. En 2015, une infime majorité de Suisse·sse·s (50,8 %) se sont prononcés en faveur de la modification de la loi sur les radios et TV, la Suisse romande ayant réussi à faire pencher la balance. Le débat était lancé et depuis, les opposant·e·s au service public n’ont eu de cesse de critiquer (à tort et à raison) la SSR, sa programmation, son coût, etc. C’est donc un service public très affaibli – notamment par les attaques menées par la presse alémanique détenue en partie par le groupe de médias de Christoph Blocher – qui se retrouve au cœur des débats aujourd’hui.
En appelant le texte d’initiative No Billag, le comité d’initiative oblige les opposant·e·s à défendre l’entreprise de prestation de services. Comme souvent dans l’intitulé des initiatives soumises au corps électoral, il y a tromperie sur ce qui est réellement en jeu.
Si nous nous engageons contre ce texte d’initiative, c’est parce que nous soutenons le public face au privé et nous reconnaissons la nécessité d’un média accessible tant au niveau national que régional. Cependant, notre soutien ne va pas au maintien de la taxe prélevée par Billag telle qu’elle existe aujourd’hui.
Nous devons nous positionner à court terme en votant non à No Billag, et à moyen terme en exigeant un financement plus juste de la SSR à travers l’impôt fédéral direct, dont le prélèvement dépend du revenu ; un mode de financement solidaire que ne manqueront pas de refuser les hommes d’affaires de droite et d’extrême-droite qui soutiennent l’initiative No Billag.
Marie-Lou Pahud