Remboursement des soins dentaires

Remboursement des soins dentaires : Encore du chemin à faire

Avec un peu moins de 43 % de votes favorables, l’initiative Pour le remboursement des soins dentaires n’a pas passé la rampe de la majorité des votant·e·s dans le canton de Vaud. Mouvement à l’origine de cette initiative et fer de lance d’une campagne menée pour être gagnée, solidaritéS regrette évidemment ce résultat. Néanmoins, le restituer dans son contexte politique et social permet d’en dégager un bilan plus nuancé, avec plusieurs éléments positifs à relever, pour solidaritéS comme pour le combat pour l’égalité dans l’accès aux soins.


Gustave Deghilage

La configuration politique de cette campagne était pourtant positive. Les partis dominants au Grand Conseil n’étaient pas parvenus à opposer un contreprojet à l’initiative. Elle avait obtenu un soutien politique allant jusqu’aux partis du centre droit (PDC et Vaud Libre) et la majorité du Conseil d’Etat. Elle a également reçu le large soutien de milieux associatifs et de professionnel·le·s des domaines de la santé et du social. Enfin, nous sommes parvenus à pousser le PS et les Verts à mener une campagne relativement active sur le terrain, dans le cadre d’une politique d’unité d’action réussie.

Une chape de plomb néolibérale

On peut bien sûr relever des imperfections dans la campagne menée par le Comité d’initiative. Nous avons parfois manqué de réactivité face à l’agressivité et aux mensonges des opposant·e·s. Notamment vis-à-vis de la corporation des médecins-dentistes: un lobby puissant qui s’est révélé très offensif et prêt à faire flèche de tout bois dans le débat public. La proposition de franchises formulée par Pierre-Yves Maillard peu avant le vote a été un argument qui a pesé lourd contre l’initiative. On pourrait ainsi mentionner plusieurs causes, sans oublier les fortes disparités financières qui biaisent chaque échéance démocratique en Suisse, particulièrement marquées cette fois-ci. Des éléments dont il faudra évidemment tenir compte en vue des prochaines votations cantonales.

Néanmoins, nous faisons le constat d’une campagne globalement bien menée par solidaritéS et ses alliés, avançant avec efficacité nos arguments dans le débat public et soulignant les enjeux du vote. Il semble difficile de penser qu’une campagne différente aurait permis d’obtenir une majorité. Il convient donc plutôt de déterminer des tendances de fond qui ont pesé dans le résultat.

La période dans laquelle nous vivons fait suite à plusieurs décennies de politiques néolibérales, d’idéologie dominante ultra-­individualiste et de refus presque systématique de toute proposition de progrès social, en Suisse comme sur le plan international. Dans un tel contexte, une mesure de solidarité et d’égalité d’accès aux soins telle que le proposait l’initiative fait face à la logique implacable du chacun-pour-soi, réelle chape de plomb contre l’émergence de nouvelles formes de solidarité.

Les arguments de la peur

Les opposant·e·s n’ont eu qu’à exploiter la peur de payer plus pour diviser les salarié·e·s et susciter la réprobation de nombreux et nombreuses votant·e·s. Un climat fortement renforcé par le spectre de l’assurance-maladie, la LAMal. Alors que l’initiative proposait précisément un contre-modèle à cette dernière, en s’inspirant de l’AVS, la droite, le Centre patronal et les dentistes n’ont eu qu’à établir des parallèles avec l’assurance-­maladie obligatoire pour dissuader là encore de larges catégories de la population de soutenir cette initiative.

Dans la même dynamique, tout le débat public autour desdits «coûts de la santé» a également péjoré la réception de l’initiative auprès de la population. Le discours libéral qui consiste à dire que la santé coûte trop cher fait des ravages, imposant l’idée que le fait même de la prise en charge des soins provoquerait des excès et des dépenses débridées. C’est évidemment faux, l’augmentation des frais étant d’abord due à la privatisation de larges pans de la santé et au modèle de gestion privée des assurances et des établissements de santé. Mais dans le climat politique et social susmentionné, un tel discours frappe.

A ces années de contre-­réformes néolibérales et de reculs sociaux s’ajoute enfin l’absence de mobilisations sociales pour appuyer la mise en œuvre de telles mesures. Sans mouvement de fond dans la société, il apparaît toujours difficile d’obtenir des victoires offensives pour des organisations anticapitalistes comme solidaritéS.

Nouvelles perspectives

Dans ce contexte, on peut tirer un bilan relativement positif du résultat de ce vote, pour la construction de notre mouvement aussi. Très présent dans cette campagne, solidaritéS a accru sa visibilité et sa crédibilité politique, démontrant sa capacité à formuler des propositions populaires, en faveur des salarié·e·s, des retraité·e·s, des chômeurs et chômeuses et des jeunes en formation. Nous nous sommes montrés capables de prendre la direction d’une telle campagne au niveau cantonal, ce qui n’était pas acquis d’avance! Elle nous a mis en situation d’intervenir dans le débat plus général sur la santé, dont nous étions jusque-là plutôt absents.

Plus généralement, cette campagne a permis de débattre publiquement de la problématique de l’accès aux soins dentaires, de ses coûts et de l’opacité dans laquelle la médecine bucco-dentaire est exercée à ce jour en Suisse. La campagne a enfin ouvert une discussion sur le mode de prise en charge des frais de santé, en proposant un contre-modèle à la LAMal, inspiré de l’AVS. Il s’agira de faire vivre ce débat dans les mois à venir, en commençant par créer les conditions d’un succès de cette initiative à Genève et Neuchâtel l’année prochaine.

Pierre Conscience