Uber
Uber : Les salarié·e·s marquent des points
Début décembre, une trentaine de chauffeurs Uber se sont mis en grève à Genève. Ils dénoncent des conditions de travail inacceptables et réclament l’application d’une Convention collective de travail (CCT). Une analyse du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) vient de leur donner raison. Entretien avec Umberto Bandiera, secrétaire syndical Unia et responsable des transports pour la Suisse romande.
La grève de Genève a mis en lumière les méthodes d’exploitation féroces utilisées par Uber, notamment par le biais de sociétés partenaires. Comment ça fonctionne?
Il y a beaucoup d’idées fausses qui circulent à propos de ces plateformes et la réalité ne saute pas aux yeux. Nous avons découvert, en discutant petit à petit avec quelques chauffeurs, qu’un système de partenariat très opaque était mis sur pied par Uber. La plateforme du «diffuseur de courses» a en permanence besoin d’avoir à disposition beaucoup de chauffeur·e·s, qu’elle ne trouve pas si facilement, à moins d’avoir une filière de recrutement.
La plateforme internet d’Uber, par exemple, amenait gentiment les chauffeur·e·s intéressés vers des sociétés partenaires. On en a recensé plusieurs dizaines, domiciliées principalement dans le canton de Vaud. Ces sociétés (notamment Pégase Léman, Starlimoluxe et Diagne Limousine) recrutent les chauffeur·e·s, leur proposent un contrat de travail et obtiennent, à partir de ces contrats, des permis de travail pour le personnel étranger. Ensuite, pratiquement rien ne se passe comme prévu. Le contrat de travail n’est pas respecté, le salaire est beaucoup plus bas que celui convenu et les cotisations sociales prélevées ne sont pas forcément versées aux différentes assurances.
Le syndicat est intervenu, en signalant qu’il s’agissait là d’une relation triangulaire classique, celle qui caractérise la location de services et que le salaire minimum prévu par la CCT du secteur (3500 francs par mois) devait être respecté (on était loin du compte!). Fidèle à sa logique, Uber répond qu’elle n’est qu’un simple gestionnaire de logiciel. Unia a soumis le problème au SECO pour obtenir un avis officiel.
Venant après d’autres, l’analyse du SECO donne raison à Unia sur le fond. Mais quelle est sa portée et que va-t-elle changer?
L’examen de la SUVA concernait les personnes employées directement par Uber. La SUVA conclut que ces chauffeur·e·s sont clairement des salarié·e·s et non pas des indépendant·e·s, et que les cotisations sociales doivent être payées. L’analyse du SECO porte sur les salarié•e•s employés par les sociétés partenaires d’Uber. Le SECO conclut qu’il s’agit en l’occurrence d’un système de location de services, qu’Uber est l’entreprise utilisatrice, donc à considérer comme un employeur, et qu’une société comme Pégase Léman est l’entreprise de travail intérimaire.
Cet avis a une grande portée, pour l’ensemble du pays et pour toutes les plateformes. D’une part, il signale que ces «sociétés partenaires» travaillaient dans l’illégalité et qu’elles doivent désormais respecter les conditions légales de la location de services (elles sont notamment soumises à autorisation cantonale). Des démarches dans ce sens sont en cours dans le canton de Vaud. A Genève, Unia demande l’application de la loi cantonale, qui prévoit qu’en cas de violation de la législation sociale, l’activité de ces «diffuseurs de courses» soit suspendue. Pour les salarié·e·s, l’effet le plus important sera l’application de la CCT de la location de service, qui leur permettra de récupérer des sommes très importantes.
Permettre aux salarié·e·s d’exprimer leur mécontentement, les aider à s’organiser: tout sauf facile dans ce secteur marqué par les rapports informels et la pseudo-indépendance. Comment progresser?
C’est effectivement difficile d’organiser les salarié·e·s de ces plateformes. Mais la lutte à Genève montre que c’est possible. Le syndicat doit cependant ouvrir ses portes à ces nouvelles catégories, faire un effort d’accueil, et expliquer qu’il n’y a pas de rapports de travail «hors sol» et que l’ensemble des travailleurs et travailleuses ont des droits. Le syndicat ne doit pas dénigrer ces nouvelles technologies, mais lutter pour qu’elles soient liées à des droits sociaux. Et là on a vu que la grève est plus efficace que jamais dans ce «monde des plateformes».
C’est seulement par la lutte que les salarié·e·s de ces «sociétés partenaires d’Uber» ont pu marquer des points importants dans la reconnaissance de leurs droits. Bien sûr, il n’y a pas vraiment de lieu de travail et la mise sur pied de collectifs demande beaucoup de patience. Mais une fois les contacts établis, les salarié·e·s se sont montrés très combatifs et parfaitement à l’aise dans l’utilisation de la grève.
Les actions en justice contre Uber et ses sociétés partenaires demandent un énorme travail. Comment ça se présente?
C’est effectivement assez compliqué, surtout quand on a peu de moyens, mais les dernières analyses nous permettent d’avoir une vision claire des différentes violations. Les demandes déposées devant les prud’hommes représentent des centaines de milliers de francs, basées notamment sur l’application de la CCT de la location de services. Mais ces sociétés partenaires semblent avoir été mises sur pied très rapidement et d’ailleurs, comme par hasard, juste avant l’entrée en vigueur de la loi genevoise.
On verra comment se déroulent les premières audiences. Les salarié·e·s sont en tout cas déterminés et le syndicat fera tout pour remporter la bataille. Il importera également de maintenir les liens entre les chauffeur•e•s et de renforcer les collectifs mis sur pied ces derniers mois.
Propos recueillis par Pierre-André Charrière