Loi liberticide à Genève

Loi liberticide à Genève : A qui le tour ensuite?

Le 26 avril, un vent sinistre a soufflé sur le parlement genevois… un vent hostile aux libertés, autoritaire, anti­démocratique, un vent de discrimination islamophobe. A la manœuvre le Conseiller d’Etat PLR Pierre Maudet dont nous avions dénoncé la présence à une cérémonie commémorant l’armée secrète P26, questionné la pratique supposée d’écoutes illégales, mis en cause la gestion militarisée de la police et qui fait ces jours l’objet d’une enquête du Ministère public concernant un voyage à Abu Dhabi dont le financement et les tenants et aboutissants sont problématiques.

Sous le prétexte infondé d’avoir à mettre en œuvre les dispositions de l’art. 3 de la nouvelle constitution genevoise en matière de neutralité religieuse et de laïcité, il a fait voter, par une majorité hétéroclite du parlement genevois, une loi trompeuse et rétrograde. Cette loi sur la «laïcité» de l’Etat (LLE) pose de graves problème en matière de respect des droits fondamentaux, notamment de l’art. 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de respect des droits du personnel des entités publiques genevoises, de respect des droits civiques des citoyen·ne·s, de respect de la neutralité religieuse de l’Etat et de respect de l’égalité hommes-femmes.

La loi se mêle de questions religieuses dans lesquelles un Etat laïc et «neutre» en matière de religions ne devrait pas s’immiscer. Elle dicte la manière dont les religions sont tenues de s’organiser et donne champ libre au Conseil d’Etat pour reconnaître par voie réglementaire telle ou telle religion comme interlocutrice acceptable ou non.

La loi invente des règles «spéciales» pour les manifestations religieuses plutôt que de les soumettre à la législation ordinaire concernant toutes les manifestations, syndicales, sociales, politiques, associatives, sportives, etc. Elle viole l’égalité citoyenne en soumettant les un·e·s et pas les autres à des interdits particuliers, alors qu’un Etat impartial et neutre devrait être «aveugle» quant à la religion (ou non) de ses employé·e·s et citoyen·ne·s. Des femmes musulmanes seront en particulier pénalisées.

La loi entérine une «contribution religieuse» prélevée par le fisc au bénéfice d’églises, l’Etat triera entre religions pouvant ou non profiter de ce service particulier, qualifié par un député PLR de «cordon ombilical» reliant les églises chrétiennes traditionnelles à l’Etat genevois, et dont aucune entité laïque ne peut bénéficier quelle que soit son utilité publique, sociale ou écologique.

La loi donne des pouvoirs étendus et arbitraires au gouvernement en matière de suspension de libertés publiques à titre préventif de «troubles graves» fantasmés qui seraient liés à la religion. La texte impose un diktat sur les statuts du personnel touchant des dizaines de milliers de salarié·e·s des entités publiques sans consultation préalable des représentantes du personnel…

Cette loi pose deux questions: comment se fait-il qu’elle ait été votée? Et comment et pourquoi la combattre?

Elle a été votée parce que nombre de député·e·s, au fond opposés à la loi, ont manqué de courage, n’ont pas voulu désavouer entre deux tours d’élections le porte-drapeau électoral de l’Entente bourgeoise qu’est Pierre Maudet. Parce qu’ils ont courbé l’échine devant les bouffées d’islamophobie intenses et irrationnelles impulsées par certains, et parce que Maudet à repris à son compte,en les mettant au goût du jour, les vieux démons du Kulturkampf genevois, qui avaient gangréné le parti radical de James Fazy, en leur désignant une nouvelle cible, non plus les catholiques, mais le traitement de la «question spécifique posée par l’Islam» (sic).

Ensuite, comment combattre cette loi? En construisant un front référendaire large, mettant en mouvement les défenseurs·euses d’une laïcité démocratique, les féministes, les syndicalistes du public et du privé, les pratiquant·e·s (ou non) défenseurs·euses des libertés religieuses, etc. C’est une bataille qui peut être gagnée dans une Genève qui a dit non à 60 % à l’interdiction des minarets. C’est en marche…

Enfin, pourquoi accorder une telle importance à cette question à solidaritéS? Parce que nous nous souvenons de l’histoire… parce que ce même parlement qui a voté la loi qui interdira demain à une femme musulmane de siéger dans un conseil municipal ou au Grand Conseil, a voté à la fin des années 30 l’interdiction du parti communiste conduisant à l’expulsion de ses élu·e·s, ayant trouvé asile sur les bancs de la Fédération socialiste de Léon Nicole. Comme dit un célèbre poème, d’un pasteur protestant allemand, stigmatisant l’absence de courage et de solidarité dans la résistance face aux ténèbres:

«Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste

Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit, je n’étais pas juif.
Puis, ils sont venus me chercher,
Et il ne restait plus personne pour dire grand chose. »

Aujourd’hui, ce sont principalement des musulman·e·s qu’on cible et nous ne sommes pas (pour la plupart) musulman·e·s. Mais nous avons un devoir de «dire» notre résistance… sinon demain, s’ils viennent nous chercher, qui dira quelque chose et de quoi aurons-nous le droit de nous plaindre?

Pierre Vanek