Restauration en lutte

Des travailleurs et travailleuses des établissements du groupe Capi Ombre Sàrl à Genève ont dénoncé leurs conditions de travail lundi 11 juin dernier. Devant le restaurant L’Incontro, un rendez-vous a été exigé avec les responsables du groupe, de sorte à régler des problèmes qui se retrouvent aussi dans les autres établissements: la Brasserie du Molard, Le Prince, Willis Café, le MiMo, etc. Cette action a permis d’ouvrir une véritable discussion avec l’employeur. Si la résolution des problématiques individuelles est une priorité, des garanties sur l’amélioration générale des conditions de travail de tout le personnel sont aussi demandées. Entretien avec Marlene Carvalhosa Barbosa, secrétaire syndicale au Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT).


Rassemblement devant le restaurant L’Incontro, 11 juin 2018 – Achille Karangwa

Comment a éclaté ce conflit et quelles sont les revendications du personnel?

Cela fait plusieurs mois que le SIT accompagne des ex-employé·e·s dans leurs litiges avec Capi Ombre. Au fil du temps, de nouvelles personnes sont venues témoigner de conditions de travail pénibles. À mesure que la résolution des problèmes stagnait et que les cas s’accumulaient, la nécessité de mettre publiquement l’employeur face à ses responsabilités, par une action collective, devenait évidente. Les revendications des employé·e·s sont multiples, mais somme toute très simples. Face à des horaires éreintants, nous demandons le respect de la loi concernant la gestion du temps de travail. La transformation des contrats à l’heure en contrats fixes nous paraît également une mesure intéressante pour lutter contre la flexibilisation du travail. Les employé·e·s malades ou victimes d’accidents se retrouvent dans des situations d’insécurité: de nombreux cas n’ont jamais été pris en considération par l’employeur, laissant ainsi des personnes avec des dettes importantes.

Par ailleurs, de nombreuses personnes ont subi un management humiliant. À ce sujet, le personnel réclame des mesures durables pour la protection de leur personnalité. L’action syndicale a eu l’effet escompté: l’employeur a finalement pris la mesure des problèmes et a accepté d’ouvrir les négociations avec une délégation d’employé·e·s et de syndicalistes.

S’agit-il d’un cas isolé dans la restauration genevoise? Que faire pour éviter que de telles situations se reproduisent?

La situation dénoncée par cette mobilisation est malheureusement emblématique des problèmes actuels de l’hôtellerie-restauration. Le secteur est caractérisé par une grande instabilité. Pour le canton de Genève, par exemple, il y a près de 2100 cafés-restaurants, ce qui correspond à 11 000 emplois équivalents plein temps. Malgré l’ampleur de l’activité économique, on observe un fort tournus d’employeurs: faillites, transferts d’entreprises, etc. Autant de facteurs qui accentuent l’instabilité des emplois.

Dans le secteur, nombre d’employé·e·s touchent le salaire minimum, qui est à ce jour de 3435 francs, et sont très exposés au chômage. Cette précarisation se répercute sur les conditions de travail: on demande plus de flexibilité, quitte à contrevenir aux normes en matière d’organisation du travail, les salaires stagnent, car l’expérience n’est pas reconnue par la convention collective de la branche, etc.

Pour assainir les conditions du secteur, deux pistes complémentaires sont à considérer. D’abord, il est important d’augmenter les contrôles du travail et de tout faire pour que de véritables sanctions soient appliquées. Ensuite, il est essentiel de visibiliser les combats collectifs, pour montrer que la solidarité permet de vraies améliorations sur les lieux de travail.

Il semblerait que les conflits collectifs dans le secteur de la restauration soient actuellement plutôt rares. Comment expliquer le succès de cette mobilisation?

Si les actions syndicales sont moins nombreuses que dans d’autres secteurs ou époques, cela s’explique par les difficultés que rencontrent les employé·e·s pour s’organiser. D’abord, la précarité dans laquelle se trouvent la majorité des personnes du secteur est telle que la plupart serrent les dents pour tenir le coup et garder leur poste: les salaires sont si bas qu’ils ne permettent pas de faire face à d’éventuels problèmes.

Par ailleurs, le droit suisse ne prévoit pas suffisamment de garanties de protection des employé·e·s qui réclament le respect de leurs droits. Beaucoup voient un risque trop élevé à se battre. À cela s’ajoutent des freins structurels à l’organisation collective: dans la restauration, le personnel est généralement peu nombreux dans chaque établissement et, souvent, ne reste pas longtemps. Difficile de tisser des liens de solidarité durables entre collègues et de construire des revendications sur le long-terme pour son lieu de travail.

C’est justement sur ce point-là que le SIT a offert une autre option au personnel qui était déterminé à se battre. Bien que travaillant dans des établissements de nature différente, les employé·e·s se sont adressé·e·s au groupe chapeautant les sociétés responsables de leurs lieux de travail. Une solidarité a ainsi pu émerger entre des gens travaillant dans différents coins de Genève, mais exposés aux mêmes problèmes.

Propos recueillis par Pierre Conscience