Lex Maudet

Lex Maudet : Un «droit à l'ignorance» pour fonder une loi liberticide?

Les référendums contre la Lex Maudet sur la soi-disant «laïcité de l’État» ont abouti. Il faut maintenant s’interroger sur les problèmes que pose la loi et les raisons de s’y opposer. Ci-dessous une première contribution.


Décompte des signatures, 18 juin 2018 – Gharbi Anouar

Pour solidaritéS, dont le combat politique est à contre-courant de la pensée dominante, toute entrave légale à la liberté de manifester ses convictions doit être combattue, si on ne veut pas que demain on nous l’interdise aussi. Rappelons qu’il y a peu, à Genève, des avocats ont obtenu l’interdiction de l’association RHINO (décision cassée ensuite à Strasbourg). Ils plaidaient que, le droit comme la «morale dominante» (sic) «garantissant la propriété», RHINO – dont le but est «de soustraire les immeubles qu’elle occupe du marché immobilier et de la spéculation» – était «illicite et évidemment contraire aux mœurs». Délit d’opinion donc, se soldant par la dissolution judiciaire d’une association d’habitant·e·s!

Délit d’opinion

Idem pour l’interdiction à tout·e salarié·e du public, qu’instaurerait la LLE, de «signaler son appartenance religieuse par des signes extérieurs». Outre l’arbitraire que cela induit, cela reviendrait à restreindre le droit fondamental à «manifester sa conviction». L’art. 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) le dit: «Toute personne a le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique […] la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé».

Selon même article, une telle restriction n’est licite que si elle est nécessaire «à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques ou à la protection de droits et de libertés d’autrui». Mais pas un instant durant les débats sur cet aspect de la LLE n’a été invoqué l’un de ces motifs: ordre, sécurité, santé, morale… En effet, rien de tout cela n’est mis en péril par un fonctionnaire dont le public décoderait le signal d’une foi religieuse. Au mieux, les partisans de la loi ont insinué que le fait de voir autrui manifester son opinion violerait un prétendu «droit» à un espace public aseptisé et «neutralisé» en la matière.

Cette idée est bidon. Il n’existe aucun droit fondamental de ce type. L’ancien élu vert Patrice Mugny a écrit dans la Tribune du 4 juin, en conclusion d’un papier discutable sur la LLE que: «les usagers des services publics ont des droits. Parmi ces derniers, celui d’ignorer les principes religieux qui occupent l’esprit des fonctionnaires».

Et pourquoi pas alors le droit d’ignorer les principes politiques ou syndicaux «occupant l’esprit des fonctionnaires»? Un bon motif pour leur interdire, au nom de la «neutralité de l’État», de descendre dans la rue ou de faire grève? Ou pour interdire à un·e enseignant·e d’exprimer des idées politiques au Grand Conseil? Car cela viole aussi ce «droit à l’ignorance» incongru, soudain revendiqué par Patrice Mugny.

Pierre Vanek