Berlin

Berlin : Vers une socialisation de la propriété foncière

Le 6 avril, 40 000 personnes manifestaient à Berlin contre les loyers exorbitants. Une initiative citoyenne a été lancée pour l’expropriation des bailleurs possédant plus de 3 000 logements et l’imposition d’une gestion démocratique des appartements ainsi acquis.

Mietenwahnsinn Berlin 2019. Photo: Frank KoppenrschlagerPhoto: Frank Koppenschlager

Les loyers explosent à Berlin, une ville avec 85% de locataires. Ils ont plus que doublé en 10 ans, du fait de différents phénomènes. Durant la deuxième partie des années 90, Berlin redevient une capitale politique, culturelle et économique. C’est un lieu prisé par la jeunesse et les élites et un processus de gentrification s’installe, renforcé par la privatisation progressive du parc de logements communaux. De 1990 à 2005, plus de 200 000 d’entre eux ont été vendus à des privés qui en ont profité pour faire de juteux profits. La logique spéculative d’achat–revente a mis le feu aux poudres d’une hausse de loyers sans précédent.

Des résistances citoyennes

Cette évolution a suscité de multiples résistances citoyennes contre les expulsions et les hausses de loyers et pour la re-municipalisation d’appartements. La responsabilité de la dégradation du droit au logement revient surtout à de grands bailleurs dont Deutsche Wohnen, filiale de la Deutsche Bank, qui possède 112 000 logements à Berlin et pratique des hausses de loyers très agressives.

Ainsi est née l’idée d’une initiative pour l’expropriation des bailleurs possédant plus de 3000 logements à Berlin, sur la base de l’art. 15 de la constitution allemande. Six sociétés immobilières sont visées, toutes ayant des pratiques ultra-agressives et encaissant des super-bénéfices. L’expropriation viserait environ 200 000 logements ainsi rachetés par la Ville de Berlin aux bailleurs. L’initiative instaurerait de plus une gestion collective et démocratique des logements concernés. Les initiant·e·s ont deux mois pour réunir les 20 000 signatures forçant le parlement berlinois à se prononcer. En cas de refus, les militant·e·s auront quatre mois pour réunir les 180 000 signatures déclenchant un vote populaire.

Cette excellente proposition des locataires, pointant le réel problème du logement, à savoir la propriété foncière, embarrasse la social-démocratie allemande. Verts et SPD sont hésitants et traversés par de fortes contradictions, certains de leurs cadres menant campagne contre l’initiative. Si Die Linke soutient sans réserve le combat des locataires, SPD et Verts temporisent, remettant leur décision à plus tard.

Un exemple à suivre

Ce combat doit nous inspirer. Vu les conditions des marchés financiers, la forte disponibilité en capitaux, les prix du logement et le désengagement progressif de l’État, la lutte pour le contrôle du foncier sera un point majeur de la lutte des classes ces prochaines années. Lutter pour des loyers abordables ne suffit plus. Nous devons lutter pour le contrôle sur nos villes et nos logements. Cela passe par la possession du foncier et l’organisation démocratique de sa gestion. Autrement dit, seules les occupations et les expropriations permettront une politique du logement répondant aux besoins de la population. En Suisse aussi, nous avons des lois permettant l’expropriation. Alors usons-en!

Pablo Cruchon

Une socialisation constitutionnelle

Le référendum berlinois est possible grâce à une disposition de la Constitution allemande qui peut étonner vue de Suisse. En effet, son art. 15 prévoit que « Le sol et les terres, les ressources naturelles et les moyens de production peuvent être placés, aux fins de socialisation, sous un régime de propriété collective ou d’autres formes de gestion collective… ». En bref, la socialisation des moyens de production et des ressources est légale. Cela devrait inspirer les militant·e·s écologistes et syndicaux allemand·e·s!

Et en Suisse?

Du point de vue fédéral, il n’existe que peu de marge de manœuvre pour socialiser les parcs immobiliers. Pourtant cette perspective est envisageable légalement dans certains cantons comme à Genève, par exemple. Grâce à des dispositions sur l’expropriation contenues dans plusieurs lois, une politique volontariste de collectivisation de terrains et de biens immobiliers pourrait voir le jour. Le premier pas serait d’utiliser l’expropriation pour les logements vides sans motifs fondés. L’on pourrait ainsi socialiser tous les appartements vides du canton. Alors, commençons cette lutte!