Halte à la répression, solidarité avec le peuple bolivien
Destitué par l’armée, l’ancien président Evo Morales se trouve en exil au Mexique. Ses soutiens manifestaient vendredi 15 novembre à Genève devant les Nations Unies. Une des manifestantes parlait alors de « coup d’État civico-militaire ». Un néologisme pour désigner une situation déroutante.

Une chose est claire: les forces qui ont contraint Morales à la démission ne se battent pas pour plus de démocratie, moins d’inégalités sociales, moins de racisme et de sexisme. Elles brandissent la Bible dans une main et assassinent de l’autre. Patriarcales, elles s’en sont prises à la mairesse de la ville de Vinto, Patricia Arce, peinturlurée en rouge, tondue, puis exhibée pieds nus dans les rues de la ville. Elles s’appuient sur leurs convictions chrétiennes pour mieux fustiger les cholos, terme raciste désignant les indigènes, qu’elles aimeraient voir relégués dans les montagnes. La droite classique, représentée par l’ancien président Carlos Mesa, s’est ralliée à ces brutes, comme le patronat agro-industriel de la région de Santa Cruz et les milieux d’affaires qui lui sont liés.
Élu en 2005 avec 53,7% des suffrages, Morales est réélu en 2009 avec 64,22% des voix et son parti, le MAS, obtient la majorité absolue aux deux Chambres. Il rassemblera 63,36% des votes en 2014. Comment est-on passé de tels scores à la situation actuelle?
Politique distributive et « développementisme »
Arrivé au pouvoir avec la « marée rose » du tournant du siècle, qui toucha le Venezuela, le Brésil, l’Équateur et l’Argentine, Evo Morales fit lui aussi le choix d’une politique redistributive, basée sur une croissance économique reposant essentiellement sur l’extraction et l’exportation de matières premières, dont les hydrocarbures. Tant que les cours de ces produits restaient hauts sur le marché mondial, la lutte contre la pauvreté connut de vrais succès.
Dans ce pays, le plus pauvre d’Amérique latine selon les données mêmes de la Banque mondiale, la population vivant sous le seuil de pauvreté passa de 59,6% en 2005 à 38,6% en 2015 ; de 2005 à 2018, l’extrême pauvreté recula de 38,2% à 15,2% ; en même temps, l’analphabétisme disparaissait quasiment.
Autre succès: la refonte progressiste de la Constitution bolivienne, établissant un État laïque, plurinational et attribuant, en théorie du moins, des droits à la Pachamama, la Terre-Mère.
Les faiblesses du modèle extractiviste
Une politique basée sur l’exportation de matières premières possède deux faiblesses. La première réside dans la dépendance au marché mondial. Le retournement des cours depuis 2016 a réduit la marge de manœuvre gouvernementale. La seconde découle de la stimulation constante au « toujours plus » qu’elle entraîne, ne serait-ce que pour conserver un même niveau de rentrée avec des cours en baisse.
Ce « toujours plus » se traduisit par des projets souvent démesurés, comme ceux des barrages géants de Bala et Chapete, ou les projets d’extraction d’hydrocarbures dans le Parc national Isoboro ou le Chaco. À chaque fois, les communautés indigènes concernées se sont dressées contre « Evo ». Moins indigéniste qu’on le disait, il a fini par perdre son aura de défenseur de la Pachamama.
Les structures économiques et sociales du pays sont restées intouchées. Les secteurs dominants n’ont pas vraiment eu à se plaindre matériellement de Morales. Cela ne les a pas rendus reconnaissants pour autant, refusant l’idée même de voir des indigènes et des paysans dans les palais de la République.
L’ombre du caudillisme
Dernier élément ayant contribué à la chute de Morales: le remplacement de la mobilisation sociale par les manipulations institutionnelles, qui ont offert sur un plateau aux revanchards de droite et d’extrême droite la possibilité d’opérer « au nom de la démocratie ». L’arrivée au pouvoir d’Evo Morales ne se comprend pas sans le travail de mobilisation intense mené préalablement par le Mouvement vers le socialisme (MAS). Mais les institutions ont peu à peu remplacé la mobilisation. La figure du chef (caudillo), censé incarner directement le peuple, plane encore. L’absence de relève de la direction semble le confirmer.
Dans un pays socialement, ethniquement et géographiquement hétérogène, le maintien d’un bloc social uni derrière le pouvoir en place est essentiel. Or Morales a perdu le soutien de régions et de couches sociales auparavant largement acquises. Et que dire de son jeu dangereux pour renouveler son mandat au-delà de ce que la Constitution permettait? Sans parler du décompte des dernières élections… Aux appuis politiques perdus s’ajoutait ainsi une légitimité en berne.
Reste que ni les limites ni les impasses de la politique des gouvernements successifs d’Evo Morales ne justifient son exil ni la répression qui s’abat sur ses soutiens. Notre solidarité pleine et entière avec le peuple bolivien va de soi.
Daniel Süri