Conseil fédéral

Le vieux piège de la participation minoritaire

Après les élections fédérales du 20 octobre dernier, les spéculations fleurissent sur la possible (mais pas certaine) entrée des Vert·e·s au Conseil fédéral. Aux dépens de qui, et surtout, de quoi?

Alain Berset
Alain Berset

Depuis 1891, date où le parti radical a laissé entrer un conservateur catholique au Conseil fédéral, la composition du gouvernement suisse a passablement varié en fonction de deux critères: recomposer, en fonction des circonstances, le bloc dominant et intégrer les oppositions. Ainsi, en 1959 – avec quelques variantes depuis – fut mise sur pied une « formule magique », regroupant les trois partis de droite (PLR, PDC, UDC) et la social-démocratie (PS).

Globalement, le PS est considéré depuis l’élection d’Ernst Nobs en 1943 comme un partenaire junior, mais indispensable pour faire passer des projets éminemment discutables auprès de l’électorat. Le même sort attend donc les Vert·e·s en cas d’entrée au gouvernement, comme le remarque un observateur perspicace, Didier Holl: « Les Vert·e·s me semblent avoir tort de vouloir entrer dans le club des ‹ Sages ›. La cooptation d’une minorité dans l’édifice exécutif, au chantage de la collégialité, anéantit toute lisibilité. Avec Berset qui tire à hue pour augmenter l’âge de la retraite des femmes et Levrat qui pousse à dia pour s’y opposer [ndlr: pour l’instant…], le PS a salutairement été sanctionné d’avoir couillonné ses soutiens, en parfaite schizophrénie. Tant la proportionnalité que l’union nationale composant le Conseil fédéral est un trompe-l’œil » (Le Matin Dimanche, 17.11.2019). Un avis corroboré, bien qu’elle prétende le contraire, par la libérale Suzette Sandoz. Celle-ci fustige, dans les mêmes colonnes, la désobéissance civile pratiquée par Extinction Rebellion, car la Suisse a, entre autres, « un gouvernement toujours collégial donc reflétant diverses idéologies ».

Stabiliser le système

Mais précisément, les 7 membres du Conseil fédéral n’ont toujours qu’une seule idéologie: la défense des intérêts du capitalisme suisse. Et la liste des mesures anti–sociales portées par les représentant·e·s du PS au Conseil fédéral est longue. Parmi les plus récentes: le soutien d’Alain Berset à la hausse de l’âge de la retraite des femmes ; la défense, par Simonetta Sommaruga, alors à la tête du Département de justice et police, des politiques anti-réfugié·e·s et de la loi restrictive sur l’accès à la citoyenneté suisse ; l’engagement quasi-unanime de l’appareil du PS en faveur de la réforme de la fiscalité des entreprises (RFFA)…

Il est illusoire de voir les Vert·e·s comme une force globalement anti-système, même si le parti est traversé par diverses sensibilités. Dans les cantons où des élu·e·s vert·e·s participent aux exécutifs, ils·elles respectent également la collégialité. Ainsi, la conseillère d’État vaudoise Béatrice Métraux applique une politique inhumaine à l’égard des requérant·e·s d’asile, de même qu’elle avait soutenu sans broncher la réforme de la fiscalité des entreprises dans son anticipation cantonale (RIE 3 vaudoise).

C’est le vieux piège de la participation collégiale minoritaire à un gouvernement bourgeois: en devant mettre en œuvre et défendre, parfois ardemment, des politiques antisociales et destructrices de l’environnement, des forces comme le PS et les Vert·e·s jouent un rôle fondamental de stabilisation et de pérennisation du système capitaliste, à travers leur double jeu de l’opposition et de la collégialité.

Hans-Peter Renk

« Kranken-Nestlé »-Cassis

 Avant d’entrer au Conseil fédéral, Ignazio Cassis (PLR Tessin) présidait le lobby Carafutura et la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique au Conseil national. Il y a récolté le surnom (peu affectueux) de « Kranken-Cassis ». Récemment, le journal satirique Vigousse signalait les liens du ministre tessinois avec Nestlé:

  • En février 2019, Cassis a mis à la tête de la Fondation Geneva Science and Diplomacy Anticipator l’ex-patron de Nestlé, Peter Brabeck, et Patrick Fischer, qui avait vendu deux chaires de l’EPFL à Nestlé ;
  • À l’automne 2019, il a mis à la tête de la coopération globale de la DDC (Direction du développement et de la coopération) Christian Frutiger, ancien patron des Affaires publiques de Nestlé. Celui-ci avait défendu Nestlé lors de l’infiltration d’ATTAC-VD commanditée par son entreprise et lors du scandale du pompage des eaux de Vittel.

Ignazio Cassis est aussi connu pour sa collusion avec son collègue israélien, Israël Katz, afin de liquider l’UNRWA (agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens) – objectif aussi déclaré des USA – et de garantir la non-application de la jurisprudence internationale aux responsables israéliens coupables de crimes de guerre (notamment à Gaza).