Des bienfaits et des contradictions de la régularisation des sans-papiers

Lancée à Genève en février 2017, mais testée en secret dès 2015, l’opération Papyrus a pris fin le 31 décembre 2018. Quelque 3500 personnes devraient obtenir un permis B, soit le double des régularisations octroyées dans le canton entre 2001 et 2015 (1712, sur un total de 2754 en Suisse).  

contre les renvois
Manifestation contre les renvois, Lausanne, juin 2018

À l’heure où la pérennisation de cette pratique et son extension à d’autres cantons se discutent, un bilan critique de l’opération genevoise s’impose.

Papyrus est le fruit d’un compromis négocié, durant plusieurs années et dans le plus grand secret, par des associations et syndicats et avec les autorités cantonales et fédérales. Il a débouché sur des critères précis pour déterminer le droit ou non à un permis de séjour pour les personnes sans statut légal qui résident à Genève. Pour la première fois, les demandes de régularisation des sans-papiers ont fait l’objet d’un traitement moins arbitraire par les autorités.

Une opportunité à saisir
pour les autres cantons

Aucune base légale n’ayant été modifiée, c’est la pratique cantonale genevoise et du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) qui a été précisée et qui est aujourd’hui pérennisée (même si certains critères ont été quelque peu durcis). Toute demande de permis remplissant ces critères étant approuvée par le SEM, les différents cantons ne peuvent plus se cacher derrière l’autorité fédérale pour justifier leur propre refus de régulariser les sans-papiers présents sur leur territoire.

Les organisations progressistes, syndicales et associatives devraient donc s’engager avec détermination et sans tarder afin d’instaurer une telle pratique dans leur canton respectif. Il nous semble pourtant important d’une part de souligner certaines lignes rouges à ne pas franchir, et d’autre part de garder une distance critique face à un tel processus. D’abord, rien ne devrait être négocié en-dessous de ce qui est maintenant admis par le SEM, au risque de générer un nivellement par le bas des critères. Un suivi régulier de la part des organisations de l’ensemble de la procédure est également indispensable. En outre, les organisations devraient exiger que l’État mette des moyens à disposition pour permettre la réalisation effective des demandes de régularisations. 

Les personnes sans statut légal étant réticentes à s’adresser à toute autorité, elles se tournent vers les associations et les syndicats pour s’informer et constituer leur dossier. Or, le cas genevois montre que cette opération tout à fait officielle n’aurait pu être menée à bien sans des milliers d’heures de travail bénévole, sans compter ce que cela signifie pour ces organisations de se retrouver à devoir faire le tri entre les « papyrusables » et les autres. À minima, un soutien financier à ces organisations devrait être revendiqué. L’État devrait aussi financer des cours de langue pour celles et ceux qui en ont besoin.

Ne pas perdre de vue nos objectifs

L’un des principaux acquis de cette opération est le fait que l’accord de l’employeur n’est plus nécessaire pour déposer une demande de régularisation. Toutefois, il est à prévoir que des employeurs vont mal digérer que leur employé·e acquière soudainement des droits et une capacité de les faire valoir et vont les licencier. Genève a mis sur pied une « bourse à l’emploi » pour aider ces personnes à retrouver du travail, mais celle-ci est limitée au secteur de l’économie domestique ! À l’inverse, une très grande pression est exercée sur les personnes régularisées pour qu’elles retrouvent du travail au plus vite et ne recourent pas à l’aide sociale, au risque de perdre leur permis. 

La régularisation telle qu’elle est ici pensée vise à faire sortir une partie de ces personnes de la clandestinité, tout en les maintenant au bas de l’échelle sociale. Rappelons que les sans-papiers sont une création de la politique migratoire Suisse, qui interdit à un·e ressortissant·e extra-européen·ne de venir travailler ici (hormis quelques rares exceptions). Cette armée de réserve sert les intérêts des patrons, puisque l’existence de ces travailleurs·euses aux bas salaires permet d’exercer une pression sur l’ensemble des salarié·e·s. Quant aux sans-papiers déboutés du domaine de l’asile, ils·elles sont totalement exclu·e·s de cette procédure.

Il ne s’agit pas de remettre en cause les avancées obtenues par Papyrus, qui a permis à des milliers de personnes, et potentiellement à des milliers d’autres à l’avenir, de sortir de l’ombre et d’obtenir une reconnaissance de leurs droits. Ce compromis relève toutefois de l’intégration toujours croissante des organisations de soutien aux sans-papiers et des syndicats au système de contrôle de la population, et nous devons donc redoubler de vigilance afin de ne pas perdre de vue notre objectif : la régularisation collective de tous-toutes les sans-papiers.

Marie Nozière