Stop à la criminalisation de la solidarité

Le 4 décembre dernier, Amnesty International et Solidarité sans frontières ont déposé leur pétition munie de presque 30 000 signatures pour exiger la fin de la criminalisation de la solidarité.  Plus de 200 avocat·e·s ont également rejoint le mouvement. Le débat au Parlement fédéral aura lieu au printemps. Interview avec Manon Schick, directrice générale d’Amnesty Suisse.

Amnesty International et Solidarité
Dépôt de la pétition, Berne, 4 décembre 2019

Votre pétition demande la fin de la criminalisation de la solidarité, concrètement qu’est-ce que cela signifie ?

À la suite du durcissement de la Loi fédérale sur les étrangers (LETr) en 2008, toute personne qui, même par pure compassion, vient en aide à une personne sans statut légal peut être punie. Auparavant, il existait une clause qui permettait aux personnes prêtant assistance pour des motifs honorables d’éviter les poursuites. Cette loi, dont l’objectif est de condamner les passeurs, se retourne par conséquent contre des individus qui agissent par pure solidarité ou pour des motifs familiaux. Actuellement, notre législation est l’une des plus sévères en la matière en Europe.

Mais y-a-t-il réellement des condamnations pour ce motif en Suisse ?

En 2018, 972 personnes ont été condamnées pour violation de l’article 116 de la LETr. Pourtant, seuls 32 cas concernaient réellement des passeurs·euses ou des personnes tirant profit de cette activité. Les condamnations ont été prononcées, dans leur immense majorité, à l’encontre de personnes agissant par solidarité ou du moins sans en tirer d’avantages financiers. Pour Amnesty, il est urgent de changer la législation pour que seules les personnes tirant profit de l’aide aux personnes illégales soient condamnées. 

Concrètement, nous demandons au nouveau Parlement d’accepter l’initiative parlementaire de Lisa Mazzone, qui demande de ne plus condamner les personnes agissant pour des motifs honorables. Il est temps que la Suisse respecte les principes de liberté et de fraternité, au lieu de criminaliser des individus prêtant assistance. 

Au-delà de la protection des défenseurs·euses des droits humains, pourquoi est-ce important de protéger la solidarité ?

Depuis la crise des politiques d’accueil de 2015 en Europe, les principales tendances des politiques migratoires européennes n’ont cessé de s’accentuer : renforcement des frontières extérieures et externalisation de l’accueil notamment. Ces phénomènes ont généré une criminalisation de la migration. Les personnes en exil sont obligées de passer dans la clandestinité, de traverser les frontières sans autorisation, car il est pratiquement impossible d’arriver légalement en Suisse. Les voies légales et sûres n’existent pas et les demandes d’asile dans les ambassades ne sont plus possibles. Plus ces politiques migratoires seront restrictives, plus nous aurons besoin d’individus solidaires qui s’engagent pour soutenir les personnes en exil. S’opposer à la criminalisation de la solidarité, c’est aussi s’engager contre la criminalisation de la migration. 

Propos recueillis par Aude Martenot