Au Maroc, la répression s’intensifie

Les attaques contre les journalistes se multiplient, et rendent compte de la nature profondément autoritaire du régime de Mohammed VI. Dernière affaire en date : l’arrestation d’Omar Radi pour un tweet qui visait les magistrats ayant inculpé les militant·e·s du Hirak du Rif. 

Au Maroc, la répression s'intensifie
Manifestation devant le parlement marocain pour exiger la libération d’Omar Radi, 29 décembre 2019

« Lahcen Talfi, juge de la cour d’appel, bourreau de nos frères, souvenons-nous bien de lui. Dans beaucoup de régimes, les petits bras comme lui sont revenus supplier après en prétendant ‹ avoir exécuté des ordres ›. Ni oubli ni pardon avec ces fonctionnaires sans dignité ! »

C’ est pour ces mots que le journaliste Omar Radi sera jugé pour outrage à agent le 5 mars prochain. Il avait été emprisonné le 26 décembre en prévision de son jugement. Le journaliste a été libéré le 31 décembre 2019, à la suite d’une large campagne de mobilisation. Il reste en attente de son jugement.

Au-delà de ce message particulier, c’est bien entendu la figure d’Omar Radi qui est visée. Le journaliste avait couvert de près le mouvement populaire du Rif et ses enjeux politiques et sociaux d’une manière qui ne pouvait que déranger le régime. Il s’est également attaché à dévoiler le système de prédation économique de la monarchie marocaine – notamment sur le territoire du Rif. Système que Mohammed Oubennal et Adbellatif Zeroual nomment très justement le « capitalisme de cour ».

Cette arrestation témoigne d’un mouvement bien engagé d’intensification de la répression, qui remet en cause la façade démocratique que le régime s’est attaché à construire depuis les processus révolutionnaires de 2011, notamment par la modification de la Constitution. On peut citer les peines extrêmement dures prononcées contre les personnes ayant pris part au mouvement du Rif et les peines allant jusqu’à cinq ans de prison pour six journalistes qui avaient couvert ce mouvement. On peut penser à la condamnation de la journaliste Hajar Raissouni (qui avait également travaillé sur le Rif) et de son compagnon, officiellement pour avortement illégal. À la suite d’une forte campagne de mobilisation, tous deux ont finalement été graciés par Mohammed VI – une belle preuve de l’indépendance de la justice dans le pays. Ces cas de répression ne sont que les plus emblématiques d’un régime bel et bien autoritaire. 

#FreeKoulchi

La répression ne sort pas de nulle part : c’est parce que Mohammed VI se sait menacé par des souffles de mobilisation populaire qu’il se radicalise dans la répression, quitte à recourir aux méthodes de son père Hassan II, ce qui lui ferait perdre toute la légitimité acquise par la rupture démocratique qu’il prétendait incarner. Exiger la libération de tou·te·s les détenu·e·s politiques, comme le demande la campagne #FreeKoulchi (Libérez tout le monde) met le régime face à ses contradictions. 

Il serait erroné d’opposer les revendications sociales aux revendications démocratiques, puisque les premières se heurtent immanquablement à la répression autoritaire. C’est parce qu’elles remettent en cause la nature profonde du régime que les revendications sociales émises par le Hirak du Rif ont été si durement réprimées. Ainsi, au Maroc, comme en Algérie, au Chili ou en France, les luttes pour la justice sociale sont aussi essentiellement des luttes pour la démocratie.

Annouk Essyad

en Algérie, la mobilisation populaire se poursuit 

Depuis bientôt onze mois, l’Algérie manifeste toute entière pour un changement politique profond. À l’origine construit contre la perspective d’un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, le mouvement s’est ancré dans la durée et appelle au renversement du régime en place.

Ces derniers mois, il a été confronté à plusieurs bouleversements, notamment le décès de l’homme fort de l’armée le 23 décembre dernier. Ahmed Gaïd Salah a dirigé le pays ces derniers mois et orchestré la répression contre les manifestant·e·s. 

Le mouvement populaire a protesté massivement en décembre dernier contre l’élection fantoche d’Abdelmadjid Tebboune, ancien premier ministre de Bouteflika. Le scrutin a été largement boycotté et le taux de participation (39,83%) est le plus faible de l’histoire des élections présidentielles pluralistes en Algérie. 

Vendredi 3 janvier 2020, le nouveau gouvernement a libéré plus de 70 détenu·e·s politiques, cédant à la pression continue du mouvement populaire dont c’était une revendication importante. 

L’enjeu est désormais de savoir comment il peut se poursuivre face aux tentatives du régime de l’amadouer par de petites concessions tout en maintenant des formes de répression, et construire un rapport de forces suffisant pour imposer une réelle transformation politique et sociale.

Annouk Essyad