Inde

Une loi discriminatoire met le feu aux poudres

Depuis le 11 décembre 2019, le pays connaît de grandes mobilisations, fortement réprimées. Des dizaines de milliers d’Indien·ne·s protestent contre une réforme de la loi sur la citoyenneté qui discrimine les musulman·e·s.

Rassemblement à Dehli, janvier 2020
Rassemblement à Dehli, 8 janvier 2020

Le mouvement de contestation, parti notamment des universités, embrase l’Inde depuis plusieurs semaines et refuse de s’éteindre malgré les mesures de répression brutales de la police et des forces paramilitaires (6 personnes ont déjà été tuées). Les militant·e·s protestent contre la modification de la loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendment Bill), qui facilite la naturalisation des réfugié·e·s venant d’Afghanistan, du Bangladesh et du Pakistan arrivés depuis au moins 5 ans, à la condition qu’ils·elles ne soient pas musulman·e·s.

Cet amendement, lancé par le Premier ministre Narendra Modi, réélu en mai passé sur un programme ultralibéral et nationaliste hindou, et son bras droit, le ministre de l’Intérieur Amit Shah, représente une nouvelle étape sur leur chemin pour faire de l’Inde un État confessionnel. La précédente a été la mise au pas du Jammu-et-Cachemire, seul État à majorité musulmane (voir solidaritéS n° 356).

Le gouvernement ne va pas s’arrêter là. Il a déjà annoncé vouloir lancer une vérification de la nationalité, afin d’établir un Registre national des citoyens (NRC) duquel seraient exclu·e·s les immigré·e·s considéré·e·s comme illégaux·ales. Déjà initié cet été dans la région de l’Assam (nord-est du pays), le NRC a permis de déchoir de leur nationalité près de 2 millions d’Indien·ne·s n’ayant pas de papiers d’identité à présenter. Une mesure pour cibler les minorités mais aussi les pauvres, car beaucoup d’entre eux·elles ne possèdent pas de documents d’identité.

La loi a été catégoriquement dénoncée comme discriminatoire. Des organisations de défense des droits humains et un parti politique musulman ont déposé un recours devant la Cour suprême, en arguant son caractère anticonstitutionnel. Plusieurs ministres se sont aussi engagés à ne pas appliquer la loi dans leurs États, du Pendjab au Madhya Pradesh en passant par le Kerala. Une marque de défi au duo Modi et Shah, largement renforcée par le soulèvement populaire. 

Discriminer les minorités : un vieil objectif

La modification de la loi sur la citoyenneté trouve sa source dans le parti politique d’extrême-droite le RSS (Organisation volontaire nationale), dont est issu le parti du Premier ministre Modi, le BJP (Parti indien du peuple). L’un des piliers du RSS de 1940 à 1973, M. Golwalkar, a d’ailleurs participé à la mise sur pied du Bharatiya Jan Sangh, le parti qui est devenu le BJP. 

Ce même Golwalkar a rédigé en 1939 un texte ultra nationaliste hindouiste « We or Our Nationhood Defined », dans lequel il définit le nationalisme et l’identité hindous, s’inspirant de manière nauséabonde de la vision allemande de l’époque au sujet de la race. Il y explique notamment que l’Inde appartiendrait aux seul·e·s Hindou·e·s, et définit les minorités comme des citoyen·ne·s de seconde zone.

Ni discrimination religieuse, ni discrimination sociale 

Si l’objectif de discrimination basé sur les critères religieux est évident, cette loi a probablement aussi pour but de détourner l’attention du public des problèmes sociaux que connait l’Inde actuellement. Alors que la croissance indienne ralentit et que le chômage, notamment des jeunes diplômé·e·s est en forte hausse, le gouvernement pourrait chercher à faire parler d’autre chose, en attisant d’anciennes tensions liées à l’immigration.

Dans certains États comme l’Assam, le discours sur la loi est instantanément passé d’interreligieux (hindou·e·s contre musulman·e·s) à une bataille ethnique (assamais, manipuris, nagas, etc. contre bangladais et bengali). Ainsi, des populations assamites et tribales du nord-est s’opposent à la loi au motif qu’elle entraînerait un afflux dans leur région de réfugié·e·s hindou·e·s du Bangladesh frontalier, ce que des communautés marginalisées voient comme un risque de déséquilibre confessionnel dans l’État.

Cependant, le mouvement de protestation dans son ensemble, présent dans nombre de villes et d’universités, ne semble pas être dupe, ni au sujet de ses priorités sociales et économiques, ni au sujet des raisons pour s’opposer à la loi. À l’heure où nous rédigeons cet article, une grève s’annonce dans toute l’Inde, soutenue par 10 centrales syndicales et diverses organisations. Environ 250 millions de personnes devraient prendre part à l’appel contre la privatisation, les politiques anti-travail, les violences sur les campus et l’amendement à loi sur la citoyenneté. Un mouvement populaire qui a parfaitement compris que l’ennemi, c’est ce gouvernement ultralibéral, raciste et répressif !

Aude Martenot