Luttes féministes pour les droits des migrantes

Une coordination européenne travaille actuellement à la mise sur pied d’une occupation pacifique de la frontière à Vintimille. Cette action, décidée l’automne dernier à Genève par les participantes à la rencontre européenne « Femmes Migration Refuge », aura lieu les 17–18 octobre 2020. Nous publions ici de larges extraits de la plateforme adoptée à l’issue des Rencontres qui ont réuni de nombreuses femmes, en majorité des migrantes (voir solidaritéS n°357). Proposée à l’initiative de la MMF-Suisse comme outil et guide d’actions et de luttes pour l’extension des droits des migrantes, cette plateforme trouve avec ce projet d’une occupation symbolique des frontières une première application concrète. 

Allison Joye / UN Women
Célébration de la Journée mondiale des femmes dans un camp de réfugié·e·s au Bangladesh.
Allison Joye / UN Women

Pour une Europe ouverte, solidaire, égalitaire et féministe

Les 263 participantes à la rencontre européenne « Femmes Migrations -Refuge » qui a eu lieu à Genève du 27 au 29 septembre 2019, venues de nombreux pays du monde, ont adopté au terme de deux jours de débats et d’échanges d’expériences la Plateforme suivante, afin de se donner des objectifs de lutte communs et de commencer à former ainsi un espace européen de résistance pour la défense des droits des migrantes.

Au niveau mondial, nous, les femmes et personnes LGBTIQ+1,  représentons près de la moitié des personnes migrantes. Nos statuts sont divers, plus ou moins précaires, de même que les raisons qui nous forcent au départ. Dans nos pays d’origine comme sur le chemin de l’exil et dans les mal-nommés pays « d’accueil » nous rencontrons des obstacles, des discriminations, ainsi que des formes extrêmes de violences spécifiques parmi lesquelles des violences sexuelles et des viols utilisés comme armes de guerre.

Lorsque nous demandons l’asile, nos motifs de fuite ne sont souvent ni entendus, ni pris en compte. Lorsque nous venons pour travailler, ni nos formations, ni nos expériences professionnelles préalables ne sont reconnues, nous assignant souvent à des secteurs où les conditions de travail sont particulièrement précaires, tels que l’économie domestique et les soins, ou le travail du sexe, sans oublier les victimes de réseaux proxénètes et du crime organisé qui subissent précarité et violences extrêmes.

Celles sans statut légal, nombreuses dans ces secteurs, sont d’autant plus précarisées, l’absence d’autorisation de séjour générant vulnérabilité et exploitation.

Dans une société capitaliste, patriarcale, raciste, hétéronormée et néocoloniale, où les nationalismes et la xénophobie se renforcent, où les gouvernements cherchent à limiter les possibilités d’accès à leur territoire et à criminaliser la migration, il est plus que jamais nécessaire d’élaborer une plateforme de revendications communes. Nous voulons une Europe ouverte, solidaire, égalitaire et féministe qui garantisse à chacune le droit de rester, de circuler librement, de vivre dignement et qui valorise les apports des migrantes. Pour ce faire, il est nécessaire de créer un réseau européen de solidarité entre migrantes et femmes engagées pour l’extension de nos droits, et ce quel que soit notre statut. Il faut aussi favoriser la création d’espaces permettant l’auto-organisation des migrantes, la solidarité et la résistance.

Les exigences et dénonciations formulées ci-dessous sont un outil de travail pour nos luttes communes.

Pour un véritable accueil, nous exigeons :

  • Le droit de rester pour toutes : pas de renvois notamment au nom des accords de Dublin pour les femmes victimes de violences et l’abolition du principe dit « des pays sûrs ».
  • La suppression de toutes violences institutionnelles et structurelles.
  • L’abolition des centres de rétention et de l’emprisonnement administratif.
  • La liberté de déplacement.
  • Le droit au travail et à la formation dès l’arrivée, sans discrimination.
  • La reconnaissance des formations antérieures, des compétences et de l’expérience préalable.
  • Une offre suffisante de cours de langues gratuits.
  • Des conditions de logement dignes.

Pour une véritable mise en œuvre de la Convention d’Istanbul, nous exigeons :

  • La ratification sans réserve de la Convention d’Istanbul par tous les pays qui ne l’ont pas encore ratifiée et sa pleine mise en application partout.
  • Le retrait de toutes les réserves et la défense de cette Convention face aux attaques dont elle fait l’objet dans certains pays.
  • Des droits égaux pour toutes les femmes victimes de violence indépendamment du statut de séjour, du lieu où ont été commises les violences y compris sur la route de l’exil.
  • L’octroi d’autorisations de séjour indépendantes de l’état civil, de la situation familiale ou des personnes employeuses.
  • Des ressources suffisantes pour la prévention, la sensibilisation et la formation en matière de violences de genre.
  • Des ressources spécifiques pour les organisations et les associations qui accompagnent les femmes victimes de violence.
  • La reconnaissance de l’expertise des associations féministes, ainsi que la formation des intervenant·e·s sur les questions de violence et d’égalité de genre, des campagnes de sensibilisation sur toutes les formes de violence et une recension précise de tous les cas de violence.

Pour une Europe qui garantisse un refuge aux femmes et aux personnes LGBTIQ+, nous exigeons :

  • La reconnaissance des violences de genre comme motif d’asile.
  • Une procédure d’asile et des modalités d’accueil qui prennent en compte les besoins spécifiques des femmes et des personnes LGBTIQ+.
  • Le droit d’être entendues par des intervenant·e·s du genre de leur choix.
  • Des foyers qui prennent en compte la diversité des orientations sexuelles, des identités et des expressions de genre.
  • Une protection particulière et accrue des mineur·e·s non accompagné·e·s en ce qui concerne leur intégrité physique, psychique et sexuelle, ainsi que le droit à la formation, y compris à la formation professionnelle.
  • Le droit d’accès de la société civile aux centres de requérants d’asile, centres de rétention, ou autres lieux fermés, afin de rompre l’isolement, d’informer la population de ce qui s’y passe et de créer des solidarités.

Pour un accès aux soins pour toutes, nous exigeons :

  • Des services de santé gratuits, publics et de qualité indépendamment du statut de séjour.
  • La prise en compte des souffrances invisibilisées, physiques et/ou psychiques, ainsi que de la santé sexuelle et reproductive.
  • Une information aux migrantes sur les services de santé, ainsi qu’une formation des personnels soignants aux thématiques migratoires, et davantage de moyens pour la médiation culturelle.

Pour un accès à la justice pour toutes indépendamment du statut de séjour, nous exigeons :

  • L’information sur les droits, l’accès, le fonctionnement de la justice dans une langue et un langage accessibles.
  • Le droit d’être entendue, d’être prise au sérieux, d’être protégée, sur une base de présomption de vérité dans tous les cas de dénonciation de violence.
  • La dissociation de la procédure pénale et de la procédure administrative.
  • Pour les personnes sans statut légal, la mise en place de mécanismes qui fassent primer le droit de la victime sur la législation en matière d’immigration et dès lors la non-transmission des données entre les autorités pénales et les autorités en charge des questions migratoires.

Pour la reconnaissance et la valorisation du travail domestique, éducatif et de soins, ainsi que de son caractère indispensable à la vie, nous exigeons :

  • La régularisation de toutes les travailleuses de l’économie domestique selon le principe un travail / un permis.
  • Un salaire réglementé et digne pour les travailleuses de l’économie domestique qui prenne en considération la qualification, l’expérience et la pénibilité du travail.
  • L’application de la législation en vigueur en matière de travail (…)pour le secteur de l’économie domestique, indépendamment du statut de séjour.
  • La liberté syndicale et d’organisation.
  • La ratification de la Convention 189 de l’OIT et sa mise en œuvre concrète.
  • L’engagement des États à mener des campagnes de visibilisation du travail domestique, éducatif et de soins, et de récolter des statistiques fiables.

Contre l’impunité des sociétés transnationales (STN), nous exigeons :

  • La reconnaissance de la responsabilité des STN dans les violations des droits humains, les guerres et le changement climatique, qui causent des déplacements forcés de populations conduisant à des mouvements migratoires structurels.
  • L’adoption d’un instrument juridique international contraignant sur les STN et les droits humains permettant de mettre fin à l’impunité des STN, d’instaurer des sanctions, et de permettre des réparations pour les populations affectées.
  • La hausse de la taxation des profits réalisés par les STN.
  • Le renforcement du secteur public et l’arrêt des privatisations.

Pour une société sans racisme, sans sexisme, sans discriminations, nous exigeons :

  • L’égalité de traitement pour toutes et tous, contre le délit de faciès.
  • Le développement de moyens pour l’éducation anti-raciste et anti-sexiste, dès le plus jeune âge.
  • La liberté de s’habiller comme chacune le souhaite.
  • Le droit pour toutes de participer à la vie politique du pays où elles vivent.
  • Nous ne laisserons pas le féminisme être instrumentalisé et récupéré par le racisme et le nationalisme !

Nous lutterons contre tous les fondamentalismes ! Patriarcat, néo-libéralisme, néo-colonialisme, basta !

Pour la reconnaissance de l’intersectionnalité des oppressions et la convergence des luttes !

Solidarité avec les femmes du monde entier !

Texte intégral → marchemondiale.ch


¹ Les exigences formulées ici concernent toutes les personnes indépendamment de leur orientation sexuelle, identité de genre, expression de genre et caractéristiques sexuelles. Les revendications et exigences applicables aux femmes sont entendues comme applicables à toutes les personnes qui s’identifient pleinement ou partiellement en tant que femme, indépendamment du genre attribué à la naissance, ainsi qu’à toutes les personnes qui sont (ou, dans certains cas, ont été) considérées comme femmes.