Notre santé infectée par le marché
Un jour, un soir, une nuit, il a bien dû se rêver en chef de guerre, Alain Berset. Ou en Saint-Georges terrassant le dragon de la pandémie. Il essaie en tout cas d’en avoir l’air. Raté. Dans les grandes largeurs.
Alain Berset ne sera jamais autre chose qu’un cadre bancaire au service du patronat. Enfin, du pays, dit-il. Ce qui ne se voit pas trop : ses propres services l’avouent, en date du 5 avril, « actuellement, 21 100 cas ont été testés positifs, soit 822 de plus qu’hier. Tous les cantons suisses et la Principauté de Liechtenstein sont concernés. La Suisse a désormais l’une des incidences les plus élevées (246/100 000) en Europe. » (rapport de l’Office fédéral de la santé publique). Selon les chiffres officiels donc incomplets, péniblement récoltés par fax (!) au début, puis par le canton de Zurich ensuite, où l’informatique semble fonctionner couramment, contrairement à la Berne fédérale.
Autrement dit, le Conseil fédéral a brillamment réussi à porter le pays dans le peloton de tête de la contamination en Europe. Une situation déjà constatée par Swiss-info à fin mars, qui disait que « si l’on considère le nombre de cas par habitant, la Suisse fait partie des pays les plus touchés par la pandémie ». En effet, rapporté à un million d’habitant·e·s, la Suisse se situe juste derrière l’Espagne, mais… devant l’Italie !
Si la mortalité semble, pour l’instant, rester assez basse, on le doit sans aucun doute bien plus au dévouement du personnel soignant qu’aux efforts du Conseil fédéral. Et au fait que les politiques d’austérité dans le secteur hospitalier, tant prisées par les majorités politiques, n’ont heureusement pas été menées jusqu’à leur terme catastrophique, entre autres grâce aux luttes et aux résistances des soignant·e·s. Car les chiffres européens sont clairs, souligné par l’exemple allemand : le nombre de lits disponibles dans les soins intensifs est un facteur clé de la lutte contre le Covid-19. Et lorsque l’on parle de « lits disponibles », il ne s’agit pas seulement de matériel, mais aussi de personnel en nombre suffisant, de formation, etc.
Des mesures de protection inappliquées
Les autorités ont répété sur tous les tons qu’il ne s’agissait pas de mettre le pays en panne. Lisez : de stopper la machine à profits. Quant à arrêter la pandémie, ne rigolons pas. Ce n’est pas dans les préoccupations de nos Gamelin (général français en charge de l’armée durant la « drôle de guerre », ndlr) sanitaires, qui ont toujours refusé de limiter le fonctionnement économique aux activités essentielles.
Les journaux syndicaux débordent d’exemples où les mesures de protection, pourtant jugées fondamentales, ne sont pas ou ne peuvent pas être appliquées (sur les chantiers, dans les open spaces, à la Poste, etc.). À plusieurs endroits, seuls des préavis de grève ont amené les patron·ne·s à un peu plus de respect de leur personnel. L’exemple vient de haut : en suspendant la Loi sur le travail dans certains secteurs (hôpitaux, coursiers·ères, livreurs·euses, chauffeurs·euses routiers), en prolongeant les horaires de travail dans le secteur des soins, le Conseil fédéral a montré tout son mépris des salarié·e·s de ce pays. À tel point que même le secrétaire de la Fédération genevoise des métiers du bâtiment a jugé « On a l’impression que la question sanitaire est secondaire ! » (L’Événement syndical, 1.4.2020.)
Dans les hôpitaux, la reconnaissance officielle, hypocrite et surjouée, ne suffit pas à gommer le fait que les mesures de sécurité usuelles ne sont plus respectées et que le manque de matériel de protection se fait sentir. Le succès de la pétition « Préservons les droits et la santé de ceux qui nous soignent », avec ses 80 000 signatures, témoigne d’une volonté de front commun qui va au-delà des manifestations de soutien, sympathiques, de 21 heures. Et c’est bien cette volonté de prise en charge collective et de contrôle public de la politique de la santé qu’il faut prolonger.
Notre santé, un bien commun que le marché a infecté
Si cette pandémie doit avoir un effet positif, c’est bien en renforçant et en élargissant la conviction que c’est pure folie que de confier notre santé aux bons soins d’un capitalisme prédateur et sans scrupule. La « médecine de demain », façonnée par les start-up de la biotechnologie, a laissé tomber avec dédain la recherche sur les coronavirus, pas assez prometteuse financièrement. La pharma n’a suivi que ses cours boursiers, produisant des médicaments hors de prix pour les super-riches. Les hôpitaux ont subi le régime minceur du docteur Ueli Maurer et de ses Diafoirus cantonaux (nom d’un médecin dans le Malade imaginaire de Molière, ndlr). Il est temps d’y mettre fin. Notre santé, c’est notre affaire et celui d’un secteur public échappant aux impératifs du profit, depuis la production des médicaments et du matériel sanitaire aux EMS, en passant par le secteur hospitalier et l’assurance-maladie.
Daniel Süri