Martinique

Procès colonial contre des militants anti-chlordécone

En Martinique, la condamnation pénale de cinq militants anti-chlordécone le 28 août dernier a suscité une vague d’indignation au sein de la population. En raison de l’usage effréné de ce pesticide aux Antilles, le nombre de cancer y est beaucoup plus élevé qu’en métropole. Retour sur les enjeux d’un procès colonial.

Manifestation anti-chlordécone, Martinique, 2019
Manifestation à Fort-de-France, novembre 2019

«La banane chlordécone, l’arme du crime colonial » pouvait-on lire sur une pancarte lors d’une manifestation en Martinique, à la suite de la condamnation de cinq militants. Cet insecticide, classé cancérogène probable en 1977 et interdit aux États-Unis dès 1978, a été largement utilisé dans les bananeraies jusqu’en 1993 (1991 en métropole). 

Les propriétaires terriens békés, soit les descendants blancs des grands propriétaires d’esclaves, ont en effet fait pression sur les autorités françaises pour pouvoir continuer à ordonner à leurs ouvriers·ères agricoles de l’asperger sur les cultures. Conséquences ? En 2018, une étude montre que le sang de 92 % des Martiniquais·es est contaminé. À cela s’ajoute la pollution des terres, des rivières et des eaux littorales. Au total, au moins 300 tonnes de chlordécone ont été répandues en Martinique et en Guadeloupe.

Les départements d’outre-mer = colonies de l’État français ?

Cet empoisonnement délibéré illustre que les départements d’outre-mer français ne sont en réalité que des colonies restantes d’un État qui s’est construit sur la colonisation et l’esclavage trans-atlantique. Cette situation néo-coloniale des Antilles se manifeste par la situation économique des îles, caractérisée par la culture à échelle industrielle de bananes destinées à l’exportation, et par l’importation depuis la métropole de la grande majorité des biens de première nécessité. 

Par conséquent, les écarts de prix entre la métropole et les colonies sont faramineux, avec par exemple un écart de 38,5 % pour les produits alimentaires. En 2009, une coalition de militant·e·s syndicaux·ales et indépendantistes avait d’ailleurs impulsé une grève générale de plus de deux mois aux Antilles, sur le mot d’ordre de la lutte contre le Pwofitasyon, l’exploitation outrancière des habitant·e·s et des ressources naturelles des îles.

Le statut colonial des Antilles se manifeste également par la nature et la force de la répression. En plus de la condamnation à des amendes et des peines de prison pour les militant·e·s réclamant justice, on peut citer le cas de Keziah Nuissier, un étudiant de 22 ans – lui aussi sur le banc des accusés – qui a été torturé par la police lors d’une manifestation anti-chlordécone. Il a été roué de coups par des policiers au point de souffrir d’un traumatisme crânien et a été abandonné dans une cellule pendant plus de 48 heures. En outre, il a été victime d’insultes racistes, de menaces de mort et de violences sexuelles. 

La violence de l’État s’exerce visiblement autant pour ce qu’il fait (militer contre le racisme environnemental) que pour ce qu’il est (un homme noir habitant dans un territoire colonisé).

Contre les violences du colonialisme, construire un écosocialisme anticolonial

Cette situation dévoile une violence s’exerçant à différents niveaux. C’est une violence sur les corps, par la violence physique de l’État, mais aussi l’exposition à des substances dangereuses, ou encore l’assignation des descendant·e·s d’esclaves et colonisé·e·s aux travaux les plus dangereux et précaires. Et plus largement, c’est aussi une violence sur l’environnement, comme l’illustre la pollution des Antilles. Les luttes écologiques qui se concentrent uniquement sur ce dernier aspect sont dès lors vouées à l’échec. Par contraste, suivant la voie des militant·e·s antillais·es, c’est un écosocialisme anticolonial qu’il nous faut construire ! 

Anouk Essyad

Syngenta attaque victorieusement un office fédéral

Le chlorothalonil est un fongicide considéré comme cancérigène. Son utilisation est interdite en Suisse depuis le premier janvier 2020. Les eaux de nombreuses régions de Suisse en sont polluées, ce qui les rend impropres à la consommation. 

Mais la multinationale suisse qui le produit a attaqué l’Office fédéral de la sécurité alimentaire, et le Tribunal administratif fédéral vient d’obliger celui-ci à retirer de sa page internet sa réévaluation du produit comme « cancérigène ». 

L’entreprise, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 12 milliards de dollars au premier semestre 2020, évoque les dommages qu’elle subit en termes économiques. Ses dirigeant·e·s rêvent probablement de pouvoir empoisonner les gens en toute tranquillité. NW

À lire notamment Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale – Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Editions du Seuil ↗︎, 2019.