11 milliards dans les réserves des assureurs

Alors on danse ? Alors on paie !

Le système de l’assurance maladie est une usine à gaz opaque et ubuesque. Alors que nous sommes en pleine crise sanitaire, les réserves des caisses restent intouchées, les primes ne baissent pas et la facture s’alourdit pour les bas revenus.

Radiographie d'une fracture de la cheville

Les assureurs maladie sont trop bons pour les manant·e·s que nous sommes. Du haut de leurs privilèges, ils nous assurent (évidemment, c’est leur métier) : « Pour Santésuisse et ses membres, il était particulièrement important – lors du calcul des primes 2021 – que la population ne subisse pas de nouvelles charges financières en ces temps difficiles. Grâce au montant actuel réjouissant des réserves, les assureurs maladie ont pu calculer les primes 2021 ‹ au plus juste › et ainsi veiller à une augmentation modérée de seulement 0,5 %. » (communiqué de Santésuisse du 22 septembre) Attention, toutefois, ne dites pas merci tout de suite : avec les assureurs, il faut toujours se méfier, bien relire tout le texte et les clauses écrites en petit.

Tout augmente, ma pauvre dame !

Ces bienfaiteurs de la nation oublient en effet de nous dire que les montants faramineux des réserves proviennent de nos primes, qui n’ont cessé de croître ces dernières années, le plus souvent bien plus rapidement que les coûts. Cerise sur le gâteau : même lorsque la croissance des coûts dépasse celle des primes, les réserves augmentent ! Ainsi, selon l’Union syndicale suisse (USS), en 2019 la prime moyenne a augmenté de 1 %, les coûts bruts de 4,9 %. Pourtant les réserves ont grossi de… 21 %. Cette histoire pourrait se répéter en 2020 : la prime moyenne a augmenté de 0,2 % et les coûts devraient, selon les dires des caisses, grimper de plusieurs points de pourcentage. Pourtant les réserves ne vont pas baisser pour autant, elles grossiront de nouveau, cette fois de 13 % !

Un tour de magie de Santésuisse ? Plutôt la preuve évidente que les primes sont trop hautes. Grâce à qui ? Eh bien, entre autres au social-libéral Alain Berset et à son Office de la santé publique, qui sont d’une timidité de biche angoissée devant les assureurs et l’industrie pharmaceutique, quand ils ne les cautionnent pas tout simplement (voir encart).

Surtout, Berset, économiste fort peu critique, adhère complètement à la « doctrine » de la chasse aux coûts prônée par les assureurs. Ceux-ci, dans le communiqué déjà cité, à peine passé le moment d’autocongratulation concernant leur augmentation modérée de 0,5 % des primes, ajoutent : « Il faut maintenant baisser les coûts de la santé surfaits et éliminer les prestations inutiles. Ce n’est qu’ainsi que l’on parviendra à stabiliser les primes à l’avenir également. » Pour la stabilisation, on a vu ce qu’il en était cette décennie. Pour les coûts surfaits, c’est bien moins du prix des médicaments qu’il s’agit que des coûts du personnel de la santé et de la gestion managériale du secteur, comme si les hôpitaux étaient des laveries et les malades des draps à essorer. Pour les prestations inutiles, c’est par exemple la réduction de la durée d’hospitalisation avec le recours accru à l’ambulatoire et aux proches aidant·e·s, censé·e·s se substituer aux prestataires de service manquants.

Bref, augmentation des primes, baisse des prestations, personnel de la santé et familles sous pression : comme disait Stromae (Alors on danse) : « Quand tu crois enfin que tu t’en sors, quand y en a plus et ben y en a encore ! »

Daniel Süri

Le prix de vitrine ou le bal des vampires

Il s’agit d’une pratique liant assureurs maladie et industrie pharmaceutique. On affiche un prix, officiel, d’un médicament, le prix de vitrine justement. Un prix élevé bien sûr. En sous-main, on rétrocède un rabais à l’assureur. Et qui donc se retrouve le bec dans l’eau ? Les autorités chargées d’évaluer les « justes » prix des médicaments, qui baseront leur comparaison sur les prix pratiqués à l’étranger. Qui eux aussi sont des prix de vitrine !

L’Office fédéral de la santé publique connaît cette pratique, puisqu’il l’a lui-même adoubée en signant au moins six accords confidentiels avec les assureurs et la pharma. Dans l’intérêt des patient·e·s, bien sûr. Il semblerait aujourd’hui que l’OFSP jette un œil critique sur cette pratique légitimant ces faussaires. Un œil critique qui nous fait une belle jambe, puisqu’il n’empêche nullement la pratique de se poursuivre. Ces accords touchaient des anticancéreux (à l’utilité plutôt modeste, selon l’OFSP), des préparations contre l’hémophilie ou encore le cholestérol.
La question de fond du prix des médicaments ne peut évidemment pas se faire à travers la couverture des magouilles entre assureurs et industriels du médicament. Mais bien à travers un contrôle public et social, ainsi qu’une transparence complète des mécanismes de formation des prix dans le secteur de la santé.

Sources : Bon à savoir, octobre 2020 et Public Eye, « Médicaments, des prix de malade », juin 2018