Le Covid-19 aggrave la précarité

Une étude ↗︎, mandatée par la Fondation Colis du Cœur, montre les conséquences du Covid-19 et du semi-confinement sur les populations victimes de la précarité. Entretien avec Jean-Michel Bonvin, professeur à la Faculté des sciences de la société de l’Uni de Genève, directeur de l’équipe de recherche.

Les Colis du Cœur, Carouge, 23 juin 2020
Les Colis du Cœur, Carouge, 23 juin 2020

Pour beaucoup de monde, les personnes en grande précarité sont une population mal connue. Qui sont les personnes ayant répondu à vos questions et quelles étaient leurs conditions de vie durant le semi-confinement ? La Fondation Colis du Cœur a mis à notre disposition sa base d’adresses, nous avons donc envoyé le lien vers le questionnaire online de notre recherche à toutes les personnes y figurant. Nous avons également distribué ce lien aux personnes faisant la queue lors des distributions alimentaires des Vernets. Au total, cela nous a permis d’obtenir 223 réponses. Les personnes sans ou en attente d’un permis de séjour représentent 45 % de notre échantillon, avec une surreprésentation des femmes (environ deux tiers) et une répartition assez équitable par niveau de formation (29 % tertiaire, 27 % secondaire et plus de 40 % pour les formations inférieures). Nous avons complété cette démarche par des entretiens auprès de 40 personnes. Tout cela nous a permis de mieux documenter les conditions de vie des personnes en situation de grande vulnérabilité durant la période du semi-confinement.

Notre étude a notamment révélé la grande précarité de leur relation à l’emploi (dans notre échantillon, le taux d’emploi est passé de 59 % avant le confinement à 35 % au moment de l’enquête, soit à la mi-mai), une situation financière très difficile avec des revenus en baisse pour plus de 80 % de notre échantillon (alors même qu’ils étaient déjà inférieurs à 2000 francs avant le confinement) et une épargne limitée qui se traduit par l’impossibilité de payer une facture de 1500 francs pour 95 % des personnes de notre échantillon, des logements très souvent suroccupés (à savoir deux personnes ou plus par pièce habitable pour près de 60 % des répondant·e·s) et une diminution importante de la satisfaction à l’égard de la vie. Notre étude a également montré une insécurité alimentaire répandue, avec une majorité de l’échantillon ayant dû réduire de manière significative la qualité et la quantité de son alimentation.

Si toutes les catégories de population ont été touchées par la situation de semi-confinement, les personnes sans permis de séjour et/ou sans contrat de travail ont été particulièrement affectées, notamment en termes de perte d’emploi et de revenu, ainsi que de conditions de logement.

Vous rapportez qu’une partie très importante des répondant·e·s ne fait pas appel à des aides publiques ou associatives. Comment expliquez-vous ce phénomène de non-recours ? Notre étude a montré que près de 70 % des personnes de notre échantillon se retrouvent en situation de non-recours. Parmi celles- ci, 2,5 % seulement déclarent ne pas être en situation de besoin. Le non-recours ne découle donc pas d’une absence de besoin, mais d’autres facteurs. Les raisons les plus invoquées relèvent du manque d’information et de connaissance par rapport aux aides existantes : près de la moitié des personnes non recourantes mettent en avant ce motif, montrant ainsi l’importance d’une meilleure communication de l’information à cet égard, qui pourrait par exemple passer par une mobilisation des relais au sein des communautés de référence des populations concernées. Un autre motif souvent invoqué est la crainte de perdre son permis de séjour, qui dissuade souvent les personnes en situation de grande précarité de demander des aides auxquelles elles ont pourtant droit.

Le rapport se termine par quelques recommandations. En plus d’un renforcement des mesures conjoncturelles, en quelque sorte un coup de pouce ponctuel, vous préconisez la mise en place de mesures structurelles, qu’entendez-vous par là ? Au-delà des effets de la crise du Covid-19, notre étude a montré l’existence de problèmes structurels qui ont certes été aggravés par cette crise, mais qui existaient déjà avant. Ces problèmes semblent être de deux ordres : l’absence de protection pour tous les publics « sans » (sans permis de séjour et sans contrat de travail par exemple) et l’insuffisance de certaines prestations ou aides, notamment celles qui relèvent de l’aide sociale (de nombreuses personnes de notre échantillon percevaient en effet une aide sociale, ce qui ne les a pas empêchées de se retrouver à faire la queue aux Vernets). Dans ce sens, une double réflexion doit être menée : comment protéger la dignité des « sans » et faire en sorte que l’exercice d’un emploi ouvre des droits à une existence et un travail décents aussi pour cette population ? Comment rendre plus adéquates les prestations existantes pour éviter que leurs bénéficiaires ne doivent recourir aux banques alimentaires ?

Propos recueilli par la rédaction. Rapport disponible ici ↗︎