Université

« Il n’est plus possible de travailler sans porter atteinte à sa santé »

Un comité national composé de doctorant·e·s et post-doctorant·e·s des hautes écoles suisses a lancé une pétition ↗︎ adressée à l’Assemblée fédérale. Il demande « l’adoption de mesures concrètes visant à protéger la santé et la vie familiale du personnel scientifique, améliorer ses conditions de travail et garantir la qualité des connaissances produites ».

De nombreuses associations du corps intermédiaire (catégorie regroupant doctorant·e·s, post-doctorant·e·s, chargé·e·s d’enseignement et collaborateurs·trices scientifiques) soutiennent cette démarche. Nous nous sommes entretenus avec un membre du comité pétitionnaire pour mieux connaître les contours de cette lutte.

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Pourquoi une pétition pour améliorer les conditions de travail dans les hautes écoles suisses ? Le domaine de l’enseignement supérieur (universités et HES) a été fortement restructuré au cours des deux dernières décennies. En Suisse, deux étapes majeures marquent ce processus : d’abord les accords dits de Bologne en 1999, puis l’entrée en vigueur de la loi sur l’encouragement et la coordination des hautes écoles (LEHE) en 2011. Les chercheuses et chercheurs se retrouvent désormais mis en concurrence les uns contre les autres pour assurer le financement de leur poste de travail dans un contexte de dépendance personnelle auprès d’un·e professeur·e, de périodes de chômage intermittentes et de conditions ne permettant pas de se construire une identité scientifique.

Pourriez-vous vous imaginer être engagé·e avec, en même temps, trois contrats de travail à temps partiel, à durée déterminée et dans deux universités différentes ? Les rythmes de travail particulièrement intenses, la précarité financière et l’absence de perspectives ne sont plus tenables à long terme une fois passé un certain âge.

Votre pétition demande la création d’un nombre conséquent de postes stables pour le personnel scientifique. De quelle manière l’Assemblée fédérale pourrait y répondre favorablement ? La condition de détresse du personnel scientifique est connue depuis plusieurs années comme en témoignent les rapports produits entre autres par l’Académie suisse des sciences humaines et sociales (ASSH) ou le Conseil fédéral. Pourtant, aucune mesure n’a été prise pour remédier à cela et la situation a continué de s’aggraver.

Nous sommes toutes et tous conscient·e·s d’une chose : il n’est plus possible de travailler dans l’académie sans porter atteinte à sa propre santé. La qualité de la recherche et celle de l’encadrement des étudiant·e·s baisse inévitablement. La pétition est là pour lancer un cri d’alarme sur l’urgence de la situation. Nous avons récolté plus de 4000 signatures en seulement trois semaines !

Notre revendication est très simple : il est indispensable de créer un nombre conséquent de postes stables pour les chercheuses et chercheurs disposant d’un doctorat. Pour cela, la recherche ne doit plus reposer sur le financement par projets, mais sur le financement de postes stables. Le fonctionnement interne de l’université doit aussi être repensé pour permettre une telle réforme. L’Assemblée fédérale peut exiger du Fonds national suisse (FNS) de revoir sa politique de financement de la recherche. Elle peut aussi lier le financement de base des hautes écoles à l’exigence d’une stabilisation du personnel scientifique.

D’où est partie votre pétition ? Quelles sont les possibilités de construction d’un mouvement large ? Tout a commencé dans l’institut de recherche où je travaillais : les post-doctorant·e·s engagé·e·s sur des projets étaient convié·e·s à des réunions sans droit de vote sur les décisions liées à la vie institutionnelle. À nos yeux c’était inacceptable : nous n’avions pas de droit de cité dans l’institut où nous étions les chevilles ouvrières. C’est à partir de là que nous avons commencé à lutter pour que ce droit de cité soit obtenu véritablement, c’est-à-dire par des conditions de travail décentes. Plusieurs tentatives de résistance avaient déjà eu lieu, mais la plupart avaient échoué.

Nous sommes les premiers·ères à avoir réussi à lancer une pétition nationale. De nombreux·euses collègues nous écrivent chaque jour pour nous offrir de l’aide ou des témoignages sur leur condition de précarité. Environ 10 % des signatures viennent de collègues basé·e·s en France, Allemagne ou Angleterre. Dans ces pays, le corps intermédiaire lutte aussi pour des meilleures conditions de travail. Toute cette dynamique montre que la construction d’un mouvement large, et international, est déjà en train de se faire.

Propos recueillis par la rédaction