Loi sur le CO2

Sauvons le climat, pas les profits!

La loi fédérale sur le CO₂ n’est pas le « petit pas » revendiqué par ses partisan·ne·s. En entérinant une écologie de marché, elle protège les gros pollueurs et pénalise les plus pauvres. Le projet écosocialiste défendu par solidaritéS est une alternative crédible.

Destruction de la colline du Mormont par la multinationale LafargeHolcim à Éclépens, Suisse, 2020
La Loi CO₂ ne pénalise pas les banques qui investissent par exemple dans la multinationale LafargeHolcim, principal émetteur de CO₂ en Suisse.

Emblématique d’un projet qui épargne les plus riches et les plus gros pollueurs, on ne trouve dans la loi sur la CO₂ (LCO2) aucune mesure contraignante pour empêcher la croissance des investissements de la place financière suisse dans les hydrocarbures. Pourtant, entre les banques privées, la BNS et les caisses de pension suisses, la place financière pollue vingt-deux fois plus que la population. Les investissements des grandes banques et des multinationales de l’assurance dans les énergies fossiles nous mènent droit vers un réchauffement planétaire à 4 ou 6° C, bien au-dessus de la limite fatidique des 1,5° C. Un tel aveuglement, guidé par le seul souci de maximiser les profits, entre en totale contradiction avec l’Accord de Paris sur le Climat.

Dès lors, en se concentrant sur les émissions sur le territoire helvétique et en laissant de côté les conséquences climatiques des actions de la place financière suisse et en ignorant les émissions générées par les flux financiers, la LCO2 loupe l’essentiel.

Des mesures injustes…

Au cœur de la loi se trouve un système de taxes censées jouer un rôle incitatif. Ces taxes frapperont en premier lieu les classes moyennes et les plus précaires, tout en ne dissuadant pas les plus riches de polluer sans compter. La loi renforcera donc les inégalités, en contradiction avec le principe de justice climatique défendu par les mouvements écologistes. Au contraire, une fiscalité écologique efficace et juste doit tenir compte des revenus et appliquer le principe du plus gros pollueur, plus gros payeur.

Surtout, ces taxes seront sans effets sur les modes de production et de déplacement à la source du dérèglement climatique. Une taxe de quelques centimes par litre d’essence est infime au regard des variations habituelles du prix à la pompe : elle ne changera pas les habitudes individuelles mais plombera le budget des ménages qui peinent déjà à joindre les deux bouts. Et une augmentation massive de cette taxe mettrait en difficulté les ménages modestes vivant en périphérie, sans améliorer leurs alternatives en matière de mobilité écologique. Même chose pour la taxe sur les billets d’avion : les plus riches ne verront pas la différence. Une loi digne de ce nom déciderait de l’interdiction des liaisons aériennes pouvant être assurées par d’autres moyens de transports et favoriserait une vraie politique du rail.

Quant à l’isolation thermique des bâtiments, les moyens engagés sont très insuffisants. Surtout, les propriétaires (souvent des grandes sociétés immobilières) auront le choix de répercuter le prix des travaux sur des loyers déjà élevés. Les mêmes propriétaires se verront redistribuer le produit des taxes, sans aucune contrepartie, alors que les locataires paieront le prix de l’augmentation des combustibles si leur propriétaire n’engage pas de travaux d’assainissement.

L’injustice se joue aussi entre pays. Les classes dirigeantes des pays riches, comme la Suisse, ont une lourde responsabilité dans le dérèglement climatique, tandis que les populations du Sud global sont au premier rang des victimes. Réparer cette injustice impliquerait que la Suisse empêche ses entreprises de polluer à l’étranger et apporte son soutien aux pays touchés par les désastres écologiques. C’est l’inverse que prévoit la LCO2 : faute de mesures, les multinationales suisses ou installées en Suisse, comme Glencore, Nestlé ou Vale, pourront continuer à détruire les écosystèmes et le cadre de vie des populations à travers le monde.

…pour des effets insuffisants

Même si l’on admet les prévisions optimistes des partisan·ne·s de la LCO2, qui prévoient une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 50 % d’ici 2030, ce serait insuffisant : selon les derniers rapports du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), pour éviter un réchauffement supérieur à 1,5° C, les pays les plus émetteurs, comme la Suisse, doivent atteindre la neutralité carbone dès 2030. Sinon, le risque est celui d’une augmentation 4° C avant la fin du siècle qui, selon le GIEC, aurait des conséquences catastrophiques pour les conditions de vie de l’humanité, y compris en Suisse.

La LCO2 laisse une trop grande place aux mesures dite de « compensation » à l’étranger et donc à une réduction artificielle des émissions de GES, au lieu d’un effort concret. De même, elle entérine le principe de la Bourse du Carbone, qui permet aux pays riches d’acheter des droits à polluer en subventionnant des politiques environnementales à l’étranger. Dans les deux cas, cela revient à délivrer de véritables permis de polluer. Selon la même logique, plutôt que de s’attaquer directement aux principales activités à la source du dérèglement climatique, la LCO2 incitera à l’emploi de techniques dites d’« émissions négatives » (captation du CO₂ présent dans l’atmosphère), alors que l’efficacité limitée et les conséquences imprévisibles de telles techniques devraient inciter à les considérer comme des outils de dernier recours.

Pour une alternative écosocialiste : changer de paradigme

La catastrophe écologique est la conséquence du système capitaliste, dépendant d’une croissance infinie. Au lieu d’une loi adhérant à la logique du marché, il faut une planification écologique décidée démocratiquement, qui rompe avec le productivisme et se fonde sur le principe de justice climatique : la politique environnementale doit contribuer à une meilleure répartition des richesses et permettre à chacun·e de modifier ses comportements sans subir de dégradation de ses conditions de vie.

Dans cette perspective, solidaritéS se bat pour dix mesures d’urgence :

  • L’objectif : zéro émission nette d’ici 2030
  • La création d’un Fonds Climat pour financer la transition écologique, financé par une fiscalité équitable
  • Une transition immédiate vers un système énergétique public basé à 100 % sur les énergies renouvelables ; l’arrêt des centrales nucléaires
  • L’abolition de l’élevage intensif et la transition vers une agriculture décarbonée et locale
  • Un strict encadrement légal du négoce et l’interdiction de la spéculation sur les matières premières
  • La décarbonation totale des transports terrestres ; un moratoire sur les projets de nouvelles routes, autoroutes et aéroports, et la transition vers des centres-villes sans voitures d’ici 2030
  • L’interdiction, d’ici 2030, des vols en avion court-courrier ; un investissement massif dans les trains de nuit ; la mise en place de quotas de rationnement pour l’aviation
  • La protection et la mise en réseau des milieux naturels ou construits d’importance pour la biodiversité
  • Un subventionnement massif pour la rénovation écologique des bâtiments, sans répercussion sur les loyers
  • L’interdiction des activités polluantes, nuisibles et inutiles (publicité commerciale, production d’armements, industrie du luxe)

Au-delà de cette campagne, solidaritéS se bat pour une redéfinition de nos priorités, une transformation en profondeur de nos modes de production et d’échange, et pour construire une société plus solidaire, basée sur la satisfaction des besoins sociaux de toutes et tous et favorisant un rapport harmonieux de l’être humain avec les écosystèmes. La LCO2 ne va pas vers ces objectifs : elle verrouille une politique libérale qui ne permettra pas d’éviter la catastrophe. L’urgence climatique ne laisse plus le temps pour les demi-mesures ou les fausses solutions.

Les faux arguments des partisan·ne·s de la LCO2

Les partisan·ne·s de la nouvelle loi avancent une série d’arguments fallacieux. Pour commencer, nous répondons que la LCO2 n’est pas un « petit pas en avant ». Elle verrouille la politique écologique de la Suisse pour les années à venir et perpétue le mythe d’une écologie de marché. Cette prétendue politique du « moindre mal » promet de nous mener vers le « toujours pire ». Autre argument : les taxes sont équitables. En réalité elles resteront sans effet sur les riches, c’est-à-dire les principaux pollueurs, tout en impactant la vie des plus pauvres.

Les défenseurs·euses de la loi invoquent l’excuse de la majorité parlementaire actuelle, oubliant que le rapport de force politique se construit aussi hors des institutions, comme l’ont montré les grands mouvements écologistes en Suisse. On accuse aussi les référendaires de faire le jeu de l’UDC et des climato-sceptiques. Mais, comme avec le référendum (victorieux) contre PV 2020, nous ne pouvons pas mettre de côté les injustices d’une loi sous prétexte que les réactionnaires la combattent aussi.

Dernier argument : la Suisse est un minuscule pays et ne pourrait rien à son échelle. En réalité, le pays héberge de nombreuses multinationales polluantes et est numéro un dans l’accueil des sociétés de trading de matières premières. De plus, la population helvétique, l’une des plus riches du monde, est responsable d’une pollution par habitant·e très supérieure à la moyenne mondiale. Et la place financière suisse, l’une des plus grandes et des plus puissantes du monde, pourrait entraîner un changement de paradigme au niveau mondial en renonçant à investir dans les énergies fossiles et les industries polluantes.

Texte intégral ↗︎