2e plier

L’impossible réforme

En 2010, le peuple refuse sèchement une baisse des rentes de la prévoyance professionnelle. Elles ont malgré tout diminué de 17 % en moyenne ces dix dernières années. La capitalisation n’est plus en mesure de garantir les rentes promises.

Le lignon geneve, Guillem Vellut
Un quart des avoirs des caisses de pension sont placés dans l’immobilier.

Les refus populaires de 2010 et 2017 ont permis de maintenir plus ou moins le niveau des petites rentes, celles qui se situent au minimum légal ou juste au-­dessus. Cela concerne environ 30 % des salarié·e·s – mais au prix d’une « redistribution indésirable entre assuré·e·s » qui énerve la droite. En effet, pour maintenir le niveau des rentes minimales, les caisses de pension doivent rogner les intérêts rétribuant le capital-vieillesse de la partie surobligatoire, produisant les rentes les plus élevées. La bourgeoisie veut stopper ce transfert et réagit à plusieurs niveaux :

  1. Mise sur pied dans les entreprises de deux caisses de pension. Une selon le minimum légal pour les petits et moyens revenus, une autre pour les revenus élevés ;
  2. Incitation à retirer son avoir en capital pour éviter d’avoir à verser des rentes ;
  3. Développement du 3e pilier ;
  4. Nouvelle charge, malgré les refus populaires, pour une baisse du taux de conversion minimum garanti par la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP).

LPP 21

Le Conseil fédéral a repris le projet des « partenaires sociaux » (référence en fin de l’article) pour en faire une révision de la LPP. Il propose une baisse brutale du taux de conversion (du capital en rentes) de 6,8 % à 6 %, entraînant une baisse des rentes de 12 %. Pour limiter la casse, le gouvernement introduit un supplément de rente financé selon le modèle AVS et un renforcement de la capitalisation, c’est-à-dire un recours accru aux marchés financiers – exactement ce qu’il faut éviter.

Avec la capitalisation, c’est plus de 10 % des cotisations annuelles qui partent en « frais de gestion » (0,6 % pour l’AVS). LPP 21 implique une forte augmentation des cotisations qui ne suffit pas à enrayer la baisse des rentes. L’énorme capital cherchant à se valoriser n’en finit pas de détériorer les conditions de travail, de dégrader l’environnement. Hans-Peter Konrad, directeur de l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP), combattait au début 2020 l’initiative « Davantage de logements abordables » au nom du rendement des capitaux du 2e pilier. Cette même ASIP qui, avec l’Union suisse des arts et métiers et les assurances, propose un recours encore plus fort à la capitalisation dans une « proposition alternative » généreusement présentée dans le message du Conseil fédéral.

Un 2e pilier hostile aux femmes

La capitalisation ne tient pas compte des périodes consacrées à l’éducation des enfants et stigmatise le travail à temps partiel. Les chiffres sont clairs : en 2018, la rente mensuelle moyenne des femmes représente la moitié de celle des hommes. Dans certaines branches employant beaucoup de femmes, les rentes moyennes sont dramatiquement basses : 603 francs dans le secteur gastrosocial, 802 francs dans la coiffure et l’esthétique (chiffres 2018 de l’USS).

En rappellant qu’environ 30 % des femmes ne touchent du 2e pilier que des rentes se montant à 0 franc, on constate l’échec du système de la capitalisation. La réforme proposée par le Conseil fédéral ne change rien : LPP 21 ne servira, pour un revenu annuel de 40 000 francs, après 40 ans de cotisations, qu’une rente mensuelle de 641 francs. Pour un même revenu, l’AVS produit une rente de 1754 francs.

Développer l’AVS

Le collectif vaudois de la Grève féministe, qui a pris position en détail dans la procédure de consultation, donne le ton : « Tous les moyens financiers supplémentaires doivent être concentrés sur le 1er pilier ». Seule l’AVS et son système de répartition (les cotisations sont immédiatement transformées en rentes) peut garantir des rentes sûres et solidaires.

C’est cette orientation qu’il faudra défendre dans le débat qui s’ouvre en mars au parlement avec la révision de la loi sur l’AVS. Il s’agit d’augmenter les rentes minimales et maximales, qui ne permettent plus de « couvrir les besoins vitaux » ; d’améliorer la formule des rentes pour favoriser les petits et moyens revenus ; d’introduire enfin une 13e rente pour compléter le dispositif. Évidemment, çela a un coût et des moyens supplémentaires sont nécessaires : augmentation de la contribution de la Confédération à 25 % des dépenses, relèvement des cotisations de 0,5 % dans l’AVS plutôt que dans le 2e pilier, introduction d’un impôt sur les gains en capital notamment.

À moyen terme, il faudra relancer, d’une manière ou d’une autre, l’idée de l’intégration du 2e pilier dans une super AVS.

Pierre-André Charrière

Contre le modèle de réforme du 2e pilier

La prise de position contre le consensus de l’Union patronale suisse, l’Union syndicale suisse et Travail Suisse, adoptée par le mouvement solidaritéS en novembre 2019 est disponible sur notre site.