Marc Vuilleumier, historien du mouvement ouvrier
Décédé le 15 janvier 2021 à l’âge de 91 ans, l’historien genevois était pionnier dans l’étude du mouvement ouvrier.
Ce dernier était connu bien au-delà des frontières de la Suisse. L’histoire des gens d’en bas perd un contributeur de premier plan. Il nous manquera tout particulièrement ce printemps, lors du 150eanniversaire de la Commune de Paris (1871), dont il connaissait si bien les protagonistes. Il terminait une biographie de James Guillaume (animateur de la Fédération jurassienne de la 1re Internationale), dont il avait présenté en 1980 l’ouvrage L’Internationale : documents et souvenirs.
Né le 14 juillet 1930 à Courbevoie (France), Marc Vuilleumier a fait des études de lettres, avant d’enseigner l’histoire sociale. Une vie professionnelle non exempte de remous dans le contexte des années 1950 en Suisse : alors militant du Parti suisse du travail (1948–1961), il connut les pratiques discriminatoires envers les contestataires du consensus helvétique. Il en a donné une description détaillée dans son introduction à l’ouvrage Histoire et combats (2012).
Lorsqu’en 1955 Marc Vuilleumier rédigeait son mémoire sur le mouvement ouvrier genevois en 1846, l’histoire suisse « était sous l’emprise de deux forces contraignantes. L’une d’elle puisait ses sources dans l’idéologie propre à la Guerre froide […] alors que l’autre était constituée par la Défense nationale spirituelle de la Deuxième guerre mondiale » (Hans-Ulrich Jost, « Le rôle de Marc Vuilleumier dans l’historiographie du mouvement ouvrier en Suisse », Pour une histoire des gens sans histoire, 1995).
Parmi ses nombreuses activités, Marc Vuilleumier participa en mai 1968 à la fondation d’un Groupe de travail pour l’histoire du mouvement ouvrier en Suisse (lointain ancêtre de l’AEHMO), dont l’existence fut cependant éphémère. Néanmoins, Marc Vuilleumier réussit à publier plusieurs contributions issues des travaux de ce groupe dans les Cahiers Vilfredo Pareto, nº 29, 1973.
Durant de nombreuses années, il a publié des articles portant sur l’histoire sociale des 19e et 20e siècles, le mouvement ouvrier et socialiste, les réfugié·e·s et les immigré·e·s en Suisse, contribuant à une connaissance du passé intégrant l’expérience des milieux ouvriers et de leurs combats. Il a participé à de multiples colloques et conférences, en s’adressant à des publics fort divers, en Suisse et à l’étranger (comme l’attestent les annonces publiées à l’occasion de son décès sur les sites de plusieurs associations, comme la Société d’histoire de la révolution de 1848, l’Association des études fouriéristes ou le site de Michèle Audin sur la Commune de Paris).
Comme en témoignent ses articles et ses conférences, l’érudition de Marc Vuilleumier était impressionnante. « Pour construire une histoire rigoureuse et un discours critique face à la vulgate dominante, il faut en effet passer sérieusement par les sources et documenter avec toute la rigueur possible ses affirmations » (Charles Heimberg, Alda De Giorgi et Charles Magnin, Avant-propos à Histoire et combats, 2012). Une rigueur qui n’excluait pas des convictions profondes : « Il ne faut pas se borner à faire l’histoire des vainqueurs. Il s’agit de s’intéresser aussi à ceux qui avaient un autre point de vue, ceux qui voulaient une autre organisation sociale et qui ont été éliminés de l’histoire » (Marc Vuilleumier, L’Evénement syndical, 2012).
Hans-Peter Renk
À LIRE
Jean Batou, Mauro Cerutti et Charles Heimberg (Ed.), Pour une histoire des gens sans histoire : ouvriers, excluEs et rebelles en Suisse 19e – 20e siècles, Mélanges offerts à Marc Vuilleumier à l’occasion de son soixante-cinquième anniversaire. Lausanne, Editions d’En Bas, 1995. Contient la bibliographie de Marc Vuilleumier (1955 – 1995).
Marc Vuilleumier, Histoire et combats : mouvement ouvrier et socialisme en Suisse 1864 – 1960. Lausanne, Editions d’En Bas ; Genève, Collège du Travail, 2012. Contient la bibliographie de Marc Vuilleumier (1995 – 2012).
Entre outre, dans les années 1950, Marc Vuilleumier a publié des articles dans Socialisme, l’Almanach populaire romand et l’organe de l’Union des syndicats genevois, sous les signatures de Pierre Corsier et Maurice Vermont.