Première victoire contre la loi anti-mendicité !

On a beaucoup parlé de l’arrêt de la CEDH condamnant la Suisse pour avoir violé le « droit inhérent à la dignité humaine, de pouvoir exprimer sa détresse et essayer de remédier à ses besoins par la mendicité » d’une femme rom. Nous nous sommes entretenus avec Tibériu Moldovan, Rom roumain, intervenant social et médiateur à Caritas

Manifestation contre l’interdiction de la mendicité, Lausanne, 4 novembre 2018
Manifestation contre l’interdiction de la mendicité, Lausanne, 4 novembre 2018

La CEDH a condamné la Suisse pour avoir emprisonné Violeta pour des faits de mendicité. Comment la Communauté a accueilli cette décision ? L’arrêt de la CEDH a entraîné beaucoup de discussions et aussi de confusion. Les gens voudraient savoir comment ça va se passer maintenant à Genève, mais on n’a pas de réponse. Notre temps de travail avec les roms est occupé à 60 % par le travail juridique autour des amendes, tu connais. Beaucoup de questions arrivent : Est-ce que les amendes vont tomber ? Est-ce que l’on paie quand même les arrangements négociés avec le service des contraventions ? Est-ce qu’on fait quand même les recours ? Les gens nous appellent y compris de Roumanie. 

Ils·elles s’interrogent sur la façon dont l’arrêt va s’appliquer. Ils trouvent aussi que 1000 francs pour tort moral, ce n’est pas beaucoup pour la Suisse. Ils disent que si ça avait été un gadjo (homme non-rom ; pluriel : gadjé ; féminin : gadji), il aurait eu beaucoup plus. 

L’interdiction de mendier, alliée à la mise en place de mesures de police, a eu des conséquences importantes. Pourrais-tu nous décrire comment ces mesures mises en place pour chasser les Roms et les Romnis de Genève ont affecté le quotidien de la communauté ? Le fait d’être en grande précarité crée déjà des difficultés psychologiques (où vas-tu dormir ? Où vas-tu manger ?) et, en plus, tu dois te préoccuper des amendes et de la police. En 2015, lors de l’élaboration de notre projet, on disait déjà que cette insécurité permanente avait un impact psychologique sur les gens. Et aussi sur les enfants, parce que quand tu grandis avec des parents qui ont peur au quotidien, c’est mauvais. 

L’intervention de la Police et notamment les prélèvements dans les campements faisaient paniquer les gens. Ça crée des angoisses et des problèmes de santé psychique. Et puis ils tournent en rond, d’un endroit à un autre. Les gens de toute façon continuent à mendier. Cette insécurité quotidienne, cette survie, ça empêche de s’intégrer. Prendre des cours de français, c’est déjà se projeter plus loin qu’ils·elles ne peuvent. 

Du point de vue de l’État, ces mesures devaient faire partir les Roms du territoire cantonal, est-ce qu’elles ont été efficaces ? Ces mesures ont nécessité que l’État emploie beaucoup de monde pour les appliquer, ça coute de l’argent. Aujourd’hui, on voit que ce sont les mêmes personnes, le même nombre de gens qui sont présents à Genève. C’est du gaspillage de l’argent de l’État pour rien du tout, alors que cet argent aurait pu servir à aider à l’intégration.

Ensemble à Gauche va proposer l’abrogation de la Loi qui interdit la mendicité. Est-ce que tu vois d’autres choses que les gadjé pourraient faire pour améliorer la situation de la Communauté ? Pour mener tous les projets avec les familles, nous ne sommes pas assez nombreux·euses. Il faut renforcer les dispositifs. Quand on peut réellement faire un accompagnement social et qu’une personne trouve un travail, ça permet de ne plus être dans l’urgence vitale et de sortir de la mendicité. La pression psychologique retombe, et avec un logement, ça permet tout de suite de sortir 5 ou 6 personnes de la rue. Aujourd’hui on a l’exemple de plus de 50 personnes qui ont fait ce chemin de la rue vers un logement et un travail. Au lieu de faire pression pour qu’ils·elles partent, c’est mieux d’en faire des citoyen·ne·s qui cotisent et paient des impôts comme tout le monde.

Propos recueillis par Thomas Vachetta

Arrêt et conséquences 

La Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans l’arrêt « Lacatus c. Suisse » rendu le 19 janvier 2020, a condamné la Suisse pour la législation anti-­mendicité mise en place à Genève. Quinze autres cantons ont des lois comparables, dont Vaud, Fribourg, Neuchâtel. La bataille est relancée, avec le dépôt à Genève d’un projet de loi qui vise à abroger cette interdiction, rédigé par notre camarade Pierre Bayenet, député d’Ensemble à Gauche au Grand Conseil. Celui-ci vise à modifier la Loi pénale genevoise pour mettre un terme à la criminalisation de la mendicité et amnistier les victimes de cette disposition. 

Déjà, des voix de droite se lèvent pour affirmer que l’abolition de la loi n’est pas souhaitable, et qu’il faut simplement une application plus souple. Rien n’est donc gagné, et la bataille s’annonce rude.