Covid et aides financières
Que faire des travailleuses et des travailleurs ?
Un article sur la question du soutien aux petites entreprises paru dans notre journal a suscité un riche débat au sein du comité éditorial et parmi ceux et celles qui nous lisent. Nous nous réjouissons de poursuivre ce débat en publiant ici une nouvelle intervention sur ce sujet, accompagnée d’une réponse de l’auteur de l’article initial.
Dans le numéro 382 de ce journal paraissait un article de Daniel Süri intitulé « Que faire de la boutique et du bistrot ? », dans lequel l’auteur s’interrogeait sur la compatibilité entre une politique anticapitaliste et « le soutien aux petites entreprises en difficulté à la suite de la pandémie ». Il faudrait soutenir les aides aux patron·ne·s car « la multiplication des faillites et des licenciements n’est pas soutenable et que des emplois sont en jeu ».
Qui doit être aidé ?
Il ne s’agit pas ici d’opposer petit et grand capital, encore moins de rallumer les débats sur la pertinence de la NEP à la sortie de la guerre civile russe. Non pas que ces éléments seraient sans intérêt pour un mouvement qui se revendique du socialisme (en principe opposé à la propriété privée des moyens de production). Mais, avant de défendre l’utilisation de deniers publics pour le soutien à une frange du patronat, un mouvement anticapitaliste pourrait par exemple :
1 S’interroger sur qui doit être aidé ? Les entreprises privées ou les travailleuses et les travailleurs ? Sans être anticapitaliste, mais dans une pure logique keynésienne, une aide aux salarié·e·s permettrait une relance plus favorable à l’emploi que le maintien sous perfusion de certaines entreprises. On peut donc s’interroger aussi, sans être anticapitaliste, sur le sens des aides au patronat plutôt qu’aux travailleuses et aux travailleurs en assurant par exemple aux personnes qui se retrouveraient au chômage une compensation du salaire à 100 % et des indemnités plus longues en raison de la pandémie.
2 S’interroger sur le sens à laisser le capital privé gérer certains secteurs économiques. Typiquement dans l’hôtellerie et la restauration, plutôt que sauver des structures privées, pourquoi ne pas développer une reprise en main publique des établissements avec des modes de gestion sous forme de coopératives des petits établissements ? Pourquoi ne pas plaider pour un investissement public dans le rachat d’hôtels et les utiliser en attendant pour du logement d’urgence ? En 2008, la Confédération et la BNS (pas vraiment anticapitalistes) ont sauvé l’UBS en investissant massivement dans l’entreprise. L’opération s’est terminée par un confortable bénéfice pour les pouvoirs publics. Pourquoi ne pas soutenir une aide à l’hôtellerie sous la forme de prises de participation dans ces structures ?
3 S’interroger sur d’autres moyens que l’utilisation des deniers publics pour aider des entreprises. Alors que le capital foncier et que le capital bancaire sont complètement épargnés par la crise, rien n’est proposé pour les faire passer à contribution… et on accepte un financement des aides aux patron·ne·s via les fonds publics ce qui a comme mérite de préserver les intérêts foncier et bancaires… La gratuité des loyers ou une réduction de ces derniers proportionnelle à la réduction de l’activité éviterait de faire passer à la caisse les contribuables. Des prêts obligatoires sans intérêts par les institutions financières pourraient aussi être envisagés… rien non plus sur un impôts spécial sur les bénéfices (pourtant même suggéré par le KOF qui ne peut être soupçonné d’anticapitalisme)…
Des aides conditionnelles aux entreprise
4 S’interroger sur les conditions d’octroi de ces aides et les conditionner à des garanties d’emploi (ce n’est pas le cas dans les lois votées) et des garanties sur les conditions de travail. Elles devraient être conditionnées aussi à l’octroi d’un minimum de droit supplémentaires pour les travailleuses et les travailleurs comme :
une suspension du compteur d’indemnités pour les chômeuses et les chômeurs (prolongement des droits);
une compensation à 100 % du salaire pour le personnel en RHT ainsi que pour toutes les personnes au chômage.
Je ne qualifierais pas d’anticapitaliste non plus ce dernier axe, n’importe quel social-démocrate pourrait le soutenir. Cependant si l’ensemble de ces axes ne constituent pas à proprement parler une politique anticapitaliste, je me permets d’émettre mes plus forts doutes sur le fait qu’un soutien aux aides aux entreprises sans ces axes puisse constituer, de son côté, une politique anticapitaliste.
Pour développer une politique anticapitaliste, il ne s’agit pas de se demander ce qu’il faut faire de la boutique et du bistrot, mais ce qu’il faut faire des travailleuses et des travailleurs. Et la réponse se trouve peut-être ici : des sujets dotés de droits et acteurs de leur destin et non des objets bénéficiaires indirects d’aides versées à leur patron.
Joël Varone
Réponse à Joël Varone
Mon article ne visait pas à résumer toutes les propositions avancées par solidaritéS et Ensemble à Gauche (EàG) durant la crise du Covid, mais simplement à argumenter autour du seul point du principe de l’aide aux microentreprises. Ma contribution s’inscrit dans l’ensemble des revendications de notre mouvement. Comme l’interdiction provisoire de licencier et l’indemnisation à 100 % des salarié·e·s en raison de la pandémie, ou, à l’instar d’EàG au Grand Conseil genevois, l’impôt de solidarité sur les grandes fortunes.
La proposition de prise de participation des pouvoirs publics dans les structures hôtelières et de la restauration, en suivant l’exemple de l’UBS en 2008, me paraît bancale. Le renflouement de la banque par la Confédération a été, dès le début, considéré comme transitoire, en attendant des jours meilleurs ; c’est l’indemnisation payée par la banque qui a permis in fine à la Confédération de faire des bénéfices. Il n’y a donc pas de modèle à en tirer pour l’hôtellerie et la restauration.
Enfin, la garantie de l’emploi dans les microentreprises me laisse très dubitatif. D’une part parce que ces patron·ne·s ne savent pas eux·elles-mêmes ce qu’ils deviendront dans six mois ou un an. Quelle est donc la valeur de leur engagement ? Et d’autre part parce qu’une véritable garantie de l’emploi ne peut se concevoir sur un marché concurrentiel régi par la recherche du profit. Pour garantir l’emploi, il faut sortir du marché, comme jadis les fonctionnaires, mais cela ne fonctionne, à mon avis, qu’au niveau d’une branche entière ou d’entreprises dominantes (oligopoles).
Daniel Süri