Exploitation express chez DPD
Appuyé·e·s par le syndicat Unia, des chauffeurs·euses employé·e·s par la multinationale DPD dénoncent une exploitation brutale. Questions à Roman Kuenzler, responsable du secteur Logistique chez Unia.

Vous dénoncez le « système DPD » qui permet à cette société de contourner la législation sur le travail. Comment fonctionne-t-il ?
Cette multinationale de la livraison, propriété de La Poste française, a mis sur pied un système qui lui permet de réaliser des profits pratiquement sans employer de personnel propre. Dans les dépôts, seuls les cadres sont des employé·e·s fixes, le reste du personnel est constitué de temporaires. Quant aux 800 chauffeurs·euses qui livrent les paquets dans toute la Suisse, tou·te·s sont employé·e·s par les sous-traitants – on en compte 80 dans toute la Suisse !
Si DPD s’appuie sur des dizaines de sous-traitants pour livrer les paquets, elle n’en exerce pas moins un contrôle total sur tout le processus. Les embauches se font via son site internet ; les chauffeurs·euses travaillent exclusivement pour cette entreprise et doivent porter les combinaisons de travail à son nom ; DPD détermine aussi précisément le montant gagné par les sous-traitants, selon le nombre d’arrêts et de colis livrés. Et c’est elle qui impose et contrôle, à la minute près, les tournées effectuées par les chauffeurs·euses
Qu’en est-il des conditions de travail et de salaire ?
DPD met une pression énorme sur ses sous-traitants, qui la répercutent sur leurs chauffeurs·euses. Ces derniers·ères subissent une précarité extrême. Leur rémunération oscille entre 2850 et 4250 francs bruts par mois, à 100 % et sans treizième salaire ! En cas de perte de paquets, des amendes sont encore déduites de ces revenus de misère.
Ces derniers mois, les chauffeurs·euses effectuaient entre douze et quatorze heures de travail quotidien. Le rythme de livraison des paquets, qui pèsent parfois jusqu’à 50 kilos, est tellement soutenu que pratiquement personne ne prend de pause. Quand les employé·e·s mangent, c’est au volant. Certain·e·s sont tellement épuisé·e·s après le travail qu’ils·elles ne trouvent plus d’énergie à consacrer à leurs enfants. Ils et elles rêvent des paquets durant la nuit. Le turn-over est d’ailleurs extrêmement élevé.
Les chauffeurs·euses sont suivi·e·s à la trace par les scanners de DPD. Mais leurs heures de travail, elles, ne sont pas enregistrées. Conséquence : seules 8 à 9 heures quotidiennes, sur les 12 à 14 effectivement réalisées, sont rémunérées par les employeurs·euses. Le reste, c’est du labeur gratuit.
Au-delà de DPD, vous dénoncez un dumping qui menace tout un secteur…
Avec son système de sous-traitance généralisée, on estime que DPD a des frais salariaux un tiers plus bas que son principal concurrent, La Poste Suisse. Cela lui permet de gagner des parts de marché. De telles pratiques de sous-enchère salariale et sociale menacent l’ensemble des salarié·e·s œuvrant dans la logistique – un secteur en plein boom aujourd’hui.
Les salarié·e·s arrivent-ils·elles à s’organiser syndicalement ?
La lutte syndicale est difficile chez DPD. Nous nous trouvons face à une multinationale qui s’appuie sur 80 entreprises différentes et leur met une pression maximale. Les salarié·e·s, tou·te·s migrant·e·s, ont souvent des permis de séjour précaires. Ils·elles ont peur, car l’entreprise mène une politique violemment antisyndicale, bafoue les droits syndicaux et a le licenciement facile – même en cas de maladie ! Cependant, nous avons réalisé un gros travail en coulisses. Cela nous a permis de gagner la confiance d’une partie importante de salarié·e·s, qui ont accepté de témoigner, se sont syndiqué·e·s et ont formulé avec nous des revendications adressées à DPD. Il s’agit d’un travail à moyen terme, qui demande beaucoup d’investissement mais qui commence à porter ses fruits.
Quelles sont vos revendications ?
Un grand nombre de chauffeurs·euses exigent avec Unia que DPD améliore leurs conditions de travail. Ils et elles demandent que chaque heure travaillée soit enregistrée et payée ; que le travail respecte leur santé et les lois en vigueur ; et qu’il soit mis un terme au système de surveillance des salarié·e·s, ainsi qu’aux amendes qui lui sont associées.
Nous avons aussi des demandes adressées aux autorités politiques. Il est grand temps que celles-ci contrôlent et sanctionnent les violations légales perpétrées par DPD. Elles doivent aussi mettre en place des mesures supplémentaires pour protéger les chauffeurs·euses, notamment : équiper les véhicules dès 2,4 tonnes de tachygraphes, afin de contrôler le temps de travail ; légiférer sur la prise en charge des colis pesant plus de vingt kilos ; introduire le principe de responsabilité solidaire, pour que l’entreprise qui contrôle le processus de création de valeur assume la responsabilité en cas de sous-enchère salariale ou sociale.
Extrait d’un article paru dans Services
publics, 5 mars 2021