Temps d’habillement, temps de travail

Sur de nombreux lieux de travail, on est censé·e arriver à l’heure de début de la journée habillé·e, en parfait ordre de marche. Une victoire syndicale à Zurich change la donne.

Une infirmière aide sa collègue à enfiler sa combinaison
Le SSP a estimé que les travailleurs·euses de l’hôpital se faisaient voler une vingtaine de minutes par jour de temps d’habillement.

Une plainte du SSP contre l’Hôpital universitaire de Zurich a poussé le Secrétariat à l’économie (SECO) à clarifier l’article 13 de l’ordonnance 1 sur la loi du travail, qui définit le temps de travail. Celle-ci énonce « qu’est considéré comme temps de travail le temps pendant lequel le travailleur se tient à la disposition de l’employeur, indistinctement de l’endroit où il se trouve […]. Toutes les activités et mesures qui doivent être effectuées ou prises, par exemple pour des raisons de sécurité ou d’hygiène au travail, avant que l’acte de travail à proprement dit puisse débuter comptent comme temps de travail.»

Quelques cas concrets sont ensuite cités. L’ordonnance demande concrètement au patronat de rémunérer le temps d’habillage si l’on ne peut pas s’habiller à la maison, comme dans le cas hospitalier, pour des raisons d’hygiène évidentes.

Il était temps ! Jusque-là, on devait être prêt·e à l’heure dite sans rémunération, comme s’il suffisait de claquer des doigts pour enfiler une tenue complète ! Le SSP a estimé que les travailleurs·euses de l’hôpital se faisaient voler une vingtaine de minutes par jour, soit deux semaines par an en tout. Le syndicat a déjà lancé une campagne aux Hôpitaux universitaires de Genève, à l’Hôpital fribourgeois et dans les EMS de ces deux cantons, où l’on perd jusqu’à 40 minutes de temps de travail par jour à cause de l’habillement. Il entend récupérer rétroactivement ce temps de travail jusqu’à 5 ans en arrière.

L’ordonnance s’applique aussi hors du secteur de la santé et touche les autres actes préparatoires non rémunérés aujourd’hui : ouvrir et fermer le magasin dans la vente, préparer son chariot de nettoyage pour le personnel technique, prendre ou ramener la caisse dans un magasin, voire même arriver à sa place de travail à temps en devant passer le contrôle de sécurité et traverser l’aéroport. Dans l’hôtellerie, il est parfois interdit d’enfiler sa tenue de travail hors du lieu de travail, par souci d’image.

Quelle application ?

Malheureusement, un jugement favorable n’amène pas la justice pour autant. Il est clair qu’il faudra se battre bec et ongles pour que ces heures de travail soient restituées, même si l’ordonnance donne un puissant bras de levier. 

Même avec la loi et l’inspection du travail de notre côté, faire valoir ses droits demande du temps, des ressources et du courage pour les travailleurs·euses concerné·e·s. Les appareils syndicaux ne peuvent pas en être les seuls défenseurs, faute de ressources. 

L’inspection du travail, selon une étude dans la revue Arbeits­recht (nº 3, 2020), est en sous-effectif en Suisse et devrait engager 200 inspecteurs·trices à plein temps pour se conformer aux critères de l’Organisation internationale du travail. À l’heure actuelle, il y a un·e contrôleur·euse par 22 909 travailleurs·euses, pour un critère international fixé à 1 pour 10 000.

Dans ces conditions, les travailleurs·euses doivent s’organiser en leur nom propre, avec le soutien de l’appareil syndical, afin de réclamer le décompte du temps de travail volé et sa restitution rétroactive. Le SSP ne pourra pas obtenir la reconnaissance de 20 minutes par jour sans forces sur le terrain prêtes à se battre, sachant que seules 5 minutes ont été obtenues dans l’Hôpital Riviera-Chablais (HFR). Les luttes passées à l’HFR, par exemple contre l’externalisation de la laverie, permettent d’espérer une victoire sur cette question du temps d’habillage.

Temps de travail, temps de vie

Au fur et à mesure que l’on lutte pour définir le temps de travail d’une manière plus juste, des zones grises apparaissent. Le temps de trajet est-il un acte préparatoire au travail ? Le travail reproductif, qui comporte tous les travaux permettant à un·e travailleur·euse de se présenter au travail le lendemain en bonne forme (repas, lessive, entretien du logement…), effectué en majorité par les femmes dans le foyer, devrait-il aussi être rémunéré à ce titre ?

Pour le SECO, qui édicte les ordonnances sur la loi sur le travail, non. Mais aujourd’hui, à l’heure où l’on se déplace de plus en plus longtemps matin et soir, parfois dans les bouchons, que ce soit en bus ou en voiture, à l’heure où l’on étend les journées de travail dans la vente, en réduisant le temps pendant lequel on peut voir ses proches, cette réponse est un peu courte. Il devient de plus en plus crucial pour les travailleurs·euses de considérer le temps de travail comme un tout, qui s’infiltre même dans notre temps « libre », d’où la pertinence de continuer le combat pour la réduction du temps de travail.

Marc Leemann