Agriculture

Messages clairs, mesures floues

Deux initiatives agricoles seront mises au vote le 13 juin 2021. Les enjeux sont grands, les mesures vont loin, mais suffisent-elles ? Comment atteindre une agriculture écologique sans sacrifier les petites exploitations agricoles ?

Femme avec un masque de tomate portant un panneau "pesticides = écocide"
Marche contre Monsanto, Morges, mai 2018

L’initiative pour une eau potable propre vise à préserver les eaux suisses en coupant les paiements directs aux exploitations utilisant des pesticides, des antibiotiques prophylactiques au bétail ou du fourrage produit hors-exploitation.

La préservation des eaux et de leur biodiversité est un enjeu majeur. L’état des cours d’eau est aujourd’hui désastreux et les poissons souffrent particulièrement de la pollution pesticide. En 2019, la concentration de chlorothalonil dans l’eau de Payerne (VD) était 10 fois supérieure à la limite légale de 0,1 µg/l (microgrammes par litre), dépassant en même temps le seuil-limite de 0,5 µg/l de métabolites (petites particules) de pesticides (RTS, 01.12.20). Si ce produit a été interdit depuis, les traces de pesticides resteront encore longtemps dans nos cours d’eau.

Des mesures, pour qui ?

Si la nécessité d’agir est incontestable, les conséquences néfastes de l’initiative ne sont pas négligeables non plus. Comme relevé par Uniterre dans sa prise de position du 14 avril 2021, l’initiative ne demande d’efforts qu’aux familles paysannes. Elle met une clause guillotine aux paiements directs dont les petites exploitations dépendent, tandis que les grosses exploitations agricoles peuvent décider d’utiliser les produits incriminés en se passant des aides financières, si c’est plus rentable. Au-delà des grosses fermes, c’est aussi potentiellement le cas de la viticulture ou de l’horticulture.

L’effet pourrait être particulièrement pervers dans l’élevage, appelé à être abandonné par les petites fermes qui n’auraient même plus le droit d’acheter du fourrage à une exploitation voisine. L’élevage n’est jamais anodin pour l’environnement, mais ce cas de figure risquerait d’accélérer la concentration de la production de viande dans des mégafermes comme celle de Coffrane (NE). Ces grandes exploitations pourraient continuer à utiliser des antibiotiques comme elles le font aujourd’hui, tout comme le reste de l’agriculture mondiale, dont les produits seraient encore autorisés à la vente en Suisse.

Un oui le 13 juin prochain enverrait un signal fort pour l’arrêt des pratiques les plus polluantes et malsaines en agriculture. Mais les mesures affecteraient disproportionnellement les petit·e·s paysan·ne·s : ceux·celles-ci sont parfois endetté·e·s jusqu’au cou, encourrent en conséquence un risque de suicide 37 % plus élevé que le reste de la population (RTS, 12.11.18) et subsistent déjà grâce à des aides très vagues et incertaines. Cette situation nous pousse à inviter nos camarades, sympathisant·e·s et lecteurs·trices à peser les pour et les contre par elles·eux-mêmes. SolidaritéS ne donne pas de consigne de vote.

Interdire les pesticides, mais préserver les familles paysannes

L’autre initiative, celle contre les pesticides de synthèse, vise à interdire généralement l’utilisation de ces produits, ainsi que l’importation de denrées produites en utilisant ces pesticides. L’interdiction est claire et cohérente en ce sens, et ne concerne pas que l’agriculture. En revanche, elle n’inclut pas de mesures de contrôle des prix, de lutte contre le gaspillage alimentaire (la grande distribution pourra toujours contribuer au gaspillage annuel de 2 600 000 tonnes d’aliments en Suisse, en jetant par exemple ses légumes biscornus), ni d’autres mesures sociales pour compenser la baisse de productivité des exploitations (revalorisation des salaires, refus du libre-échange, etc.) et les risques plus grands de destruction des cultures. En ce sens, elle se rapproche d’un projet du genre des taxes sur le carburant, en incluant cependant un délai de 10 ans pour la transition.

Ces problèmes viennent s’ajouter à ceux concernant l’initiative pour l’eau potable et la question divise profondément le monde agricole. Cela étant, nous ne pouvons pas oublier que les pesticides de synthèse sont des poisons, manipulés par des travailleurs·euses agricoles intérimaires, précaires ou des petits exploitant·e·s, et que ces pesticides ont des impacts très nocifs sur la santé, en augmentant dramatiquement les risques de cancer, d’infertilité ou de malformations.

Il n’y a pas de choix parfait sur ces deux initiatives. Mais tandis que l’initiative pour une eau potable n’empêcherait pas la pollution par les pesticides, en laissant les grosses exploitations les utiliser, l’initiative contre les pesticides de synthèse aurait des chances de faire la différence. solidaritéS vous invite à accepter cette initiative, pour lancer un signal fort et pouvoir lutter aux côtés des paysan·ne·s pour des mesures d’accompagnement nécessaires à une agriculture écologique et sociale.

Marc Leemann