Taux d’imposition minimal mondial

Coup de tonnerre au paradis (fiscal) ?

Le 5 juin 2021, le G7 annonçait un accord pour l’introduction, à l’échelle mondiale, d’un taux d’imposition minimal sur le bénéfice des sociétés multinationales, fixé pour le moment à 15 %, ainsi que sur des mesures pour enrayer leur soustraction fiscale. Notre rédaction s’est entretenue avec Sébastien Guex, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lausanne, spécialiste de la question.

Réunion des chefs d'Etat du G7, Royaume-Uni, 2021
Les chef·fe·s d’État du G7 lors de leur réunion de juin 2021

Pour commencer, peux-tu brièvement résumer la genèse de ce projet d’accord fiscal international et en indiquer les contours ? À la suite de la très forte augmentation de l’endettement international depuis la crise économique de 2008-2009, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a commencé à élaborer un projet visant à limiter l’évasion fiscale des multinationales. Ce projet comprend deux aspects principaux. Le premier élément, à l’origine du projet, était la volonté d’imposer les grandes sociétés du numérique (notamment Amazon, Apple, Google, Facebook) là où elles vendent leurs services et produits et, donc, réalisent leurs profits, afin d’éviter qu’elles déplacent l’essentiel de ces derniers dans des paradis fiscaux. 

Le second élément est l’introduction d’un taux d’imposition minimal sur ces sociétés au niveau mondial. Au sein de l’OCDE, la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises, qui est la force motrice du projet, défendait un taux de 25 %, mais a accepté de se rallier au taux proposé par le gouvernement Biden, soit 21 %. Finalement, sous la pression des grands paradis fiscaux, au premier rang desquels la Suisse, le taux proposé a encore été abaissé à 15 %. 

Comment expliquer l’accélération, ces derniers mois, du processus d’élaboration de cet accord ? Avec l’aggravation considérable de l’endettement public à la suite de la pandémie, plusieurs États doivent envisager d’augmenter leur fiscalité, ne serait-ce que pour assurer le service de la dette. Dans un tel contexte, les gouvernements de pays comme les États-Unis et l’Angleterre, qui ont annoncé l’augmentation des taux d’imposition des entreprises, veulent limiter le siphonage de leur matière fiscale par les paradis fiscaux. On peut s’attendre à ce que l’accord soit adopté par le G20 cet été, puis par l’OCDE fin 2021 ou début 2022.  

Que signifierait la mise en place d’un tel accord ? Ce projet s’inscrit dans la tendance actuelle d’une série de grands États de limiter quelque peu les possibilités de fraude fiscale et de mettre certaines barrières au dumping délétère exercé par les paradis fiscaux. À cet égard, on peut mentionner l’introduction, dès 2017, de l’échange automatique d’informations fiscales. Et, tout récemment, le président étasunien Biden a dénoncé nommément certains centres offshore, en particulier le paradis fiscal suisse, ce qui n’avait plus été fait depuis le fameux discours de John F. Kennedy attaquant le centre offshore helvétique en 1961. La mise sur pied d’un tel accord signifierait donc un pas supplémentaire dans la bonne direction. 

Un grand pas ou un petit pas ? Tout dépendra des dispositions relatives à la définition du bénéfice imposable des sociétés. Or, elles sont pour le moment très floues. On sait que seules les grandes entreprises générant plus de 750 millions de dollars de chiffre d’affaires et dégageant un taux de profit supérieur à 10 % seraient concernées. Cette dernière disposition est susceptible d’offrir de multiples échappatoires, en fonction du mode de calcul du taux de profit, des normes comptables, etc. Ici se dessine peut-être d’ailleurs déjà un avantage qu’aurait à offrir la Suisse : les exigences du droit helvétique, notamment en ce qui concerne la comptabilisation des flux financiers internes aux sociétés, sont sensiblement plus laxistes qu’au sein de l’Union européenne. 

Cela nous amène au rôle de la Suisse dans cette affaire. En tant que promotrice et bénéficiaire de ce qui est probablement le plus ancien et le plus important paradis fiscal du monde, la bourgeoisie suisse combat ce projet. Elle a essayé de placer Philipp Hildebrand, l’ancien président de la Banque nationale suisse, comme secrétaire général de l’OCDE, opération qui a finalement échoué. La tactique consiste à ne pas combattre le projet frontalement, ce qui ferait courir le risque à la Suisse de se retrouver une fois de plus sur les listes noires, mais de le miner de l’intérieur. À cet égard, la baisse du taux minimal d’imposition à 15 % représente un succès. 

À quelles réactions du paradis fiscal suisse peut-on s’attendre après l’adoption d’un tel projet ? Les milieux dirigeants helvétiques vont exploiter au maximum les zones grises et les trous qu’ils auront contribué à introduire dans l’accord lui-même, par exemple dans le domaine des déductions fiscales pour Recherche & Développement et/ou pour les dits « intérêts notionnels », en matière de comptabilité, etc. Et ils profiteront de l’occasion pour tenter de supprimer des impôts qui les gênent, notamment les droits de timbre prélevés sur certaines opérations financières. 

Propos recueillis par Vivien Ballenegger